Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Marie 1er, roi des Sedangs

 

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De tout temps, les Etats ont employé des mercenaires. Très souvent, pour accomplir des tâches pas très reluisantes et dont ils ne souhaitaient pas revendiquer la paternité. Au cours du XXème siècle,  l’Afrique a constitué le terrain de jeu favori de ces individus peu scrupuleux. Que l’on songe à Bob Denard, Simon Mann, ou Jean Schamme, qui ont passé leur vie au service du plus offrant et ont participé à nombre de coups d’état. Leurs exploits ont donné naissance à quelques bons films :

             - Chiens de guerre ;

            - Blood diamond .

A la fin du XIXème siècle, l’Indochine a connu un épisode de ce genre, dont l’Etat français n’est pas tout à fait innocent. Il s’agit de la tentative d’un aventurier français de se tailler un royaume aux confins du Vietnam et du Laos. Cet homme, du nom de Marie-Charles David, finira même par échapper à son créateur. Cependant, il demeura une légende, dont la bonne société coloniale parlait encore un demi-siècle après la fin de son aventure.

 

Une enfance bercée par la mer.

 

Auguste Jean-Baptiste Marie Charles David naît le 31 janvier 1842 à Toulon. La ville porte les traces de la puissance maritime française où sa famille occupe des postes importants depuis quelques générations quand ce n’est pas dans la fonction publique. Son père est enseigne de vaisseau, un de ses oncles est conseiller-maître à la cour des comptes ou un autre conseiller d’état. Très tôt, son père disparaît. Il est élevé par sa mère qui n’a qu’un seul but : faire de son fils un marin et si possible, de haut rang. Hélas, Il échoue au concours en 1857.

Premiers exploits militaires

 

Il s’engage alors à 17 ans le 11 juillet 1859 au 6ème régiment de dragons. La vie de garnison l’ennuie, il rêve de grands espaces et dévore les récits de ce corps expéditionnaire qui avance au plus profond de la Cochinchine. C’est l’époque où les missionnaires et les Amiraux, occupent le terrain, sans trop se préoccuper des consignes du pouvoir politique. Napoléon III s’est engagé dans la conquête de l’empire des Nguyen sous un fallacieux prétexte. Certes, l’empereur des Français s’était érigé en protecteur des chrétiens victimes des sévices ordonnés par les mandarins mais il s’agissait avant tout de damer le pion aux anglais désireux aussi de s’approprier ce que l’histoire allait un jour retenir sous le nom d’Indochine française. En attendant, Auguste Jean-Baptiste Marie Charles David va de sanction disciplinaire en sanction disciplinaire et nous le retrouvons en 1862 dans les spahis de Cochinchine sans qu’on sache exactement quel fut son grade, sous-officier ou officier et s’il prit, comme il le prétendit, une part active à la prise de Bien Hoa le 16 décembre 1861 qui marque l’ouverture de la Cochinchine à la France. Supportant mal la discipline, il quitte l’armée et rentre en métropole en 1868. Il reprend du service en 1870, il y gagne le grade de capitaine. Interviennent alors deux épisodes au moins obscurs, une sanction disciplinaire pour absence illégale le 14 janvier 1871 et un vol de 400 francs dans la caisse de son général. Accordons-lui le bénéfice du doute. Il est en tous cas fait chevalier de la légion d’honneur le 28 février 1871 et le 1er juillet 1873, les sanctions disciplinaires prononcées contre lui sont levées.

 

Une vie d’errance.

 

Il est grand (1m82), d'un physique agréable et d'une belle prestance. Il publie alors ses « Souvenirs de la Cochinchine » où il raconte sa vie de 1863 à 1868 et ses aventures réelles ou imaginées. La naissance de ses deux enfants l’oblige à prendre des petits métiers. Tour à tour ostréiculteur, éleveur, journaliste, magicien de rue, il entre même au service d’une banque. L’homme est instable professionnellement et en manque d’argent. Puis, ses affaires tournent mal et il s'embarque à Amsterdam pour Batavia (Jakarta). Là, il vit au crochet de ses compatriotes et finit par se faire expulser... vers la France en 1884.

 

Retour en Indochine.

 

Il obtient alors des fonds du baron Roger Seillière pour diriger une expédition scientifique et se rend à Saigon avec son frère où il dépense l’argent de l’expédition puis organise différents trafics (armes) et des escroqueries. Auguste Jean-Baptiste Marie Charles David, qui se fait appeler désormais David de Mayréna, finit par rencontrer le gouverneur Général de Cochinchine, Constans, et obtient une lettre de recommandation du Secrétaire Général, Klobukowsi. On ne sait pas trop pourquoi Constans a fait rédiger cette missive. Toujours est-il que sans elle, rien de tout ce qui suit ne serait arrivé. Sautant sur l'occasion, et fort de la lettre de recommandation, Mayréna s'embarque sur le Haiphong, remonte vers Qui Nhon, puis se rend chez le Résident, Charles Lemire, qui se met aussitôt en quatre pour faciliter la tache de l'explorateur. Mayréna s'arrange aussi  pour obtenir le soutien de l'évêque local qui rédige là encore une lettre à destination des Pères missionnaires.

 

De la conquête à la royauté.

 

Le peuple de Moï ou Mnong, constitué de plusieurs ethnies, vit dans une zone de montagnes et de hauts plateaux difficile d'accès. Rétifs à toute forme de civilisation, ils sont animistes, vénèrent les esprits de la forêt, vivent de la chasse et font souvent la guerre pour se procurer des esclaves. Leur territoire était alors considéré comme trop dangereux et insalubre et seuls quelques missionnaires étaient installés dans la localité de Kon Tum. À l'époque de l'arrivée de Mayréna, le royaume voisin du Siam, conseillé par les Britanniques et les Prussiens, convoite ce territoire qui lui permettait de s'étendre sur la rive orientale du Mékong. Les Français connaissent ce projet mais hésitent à envoyer l'armée coloniale depuis Saigon. Aussi le projet de Mayréna de conquérir ce territoire intéresse beaucoup les autorités coloniales et, bien que les rapports de police présentent l'aventurier comme un trafiquant d'armes et un aigrefin mythomane, le gouverneur général de l'Indochine lui a donné son accord conditionnel : en cas de succès le territoire conquis sera intégré dans l'Indochine française mais en cas d'échec l'aventurier sera désavoué. Arrivé sur le territoire des Moïs, s'appuyant sur les missionnaires de Kon Tum, habillé d'un pantalon blanc et d'un dolman bleu aux manches galonnées d'or, il mène une véritable campagne de découverte de tous les villages, n'hésitant pas à défier les opposants en combat singulier, mais aussi à prêter le serment de l'alcool de riz traditionnellement bu en groupe directement dans la jarre avec une grande paille. Sous sa tunique, il porte en permanence une cotte de mailles ce qui lui sauva plusieurs fois la vie en particulier lorsque des fléchettes de curare sont tirées sur lui, acquérant ainsi une réputation d'être surnaturel bénéficiant de la protection des génies. Il aurait aussi impressionné les indigènes par ses tours de prestidigitation. David de Mayréna continue de mystifier les Moïs. Tant et si bien qu’il arrive à se faire proclamer « Tonul-Tom » (chef suprême) d’une nouvelle fédération constituée des principales ethnies Moïs.  Fort de ce succès grisant, David de Mayréna entreprend de mater les Sedangs. Les fusils auront raison des arcs et des flèches. Et comme tout dieu blanc qui se respectait en cette fin de siècle, il réclame une couronne qu’on s’empresse de lui donner le 3 juin 1888. A l’ombre de la jungle annamite, une nouvelle dynastie est née avec son drapeau, bleu uni orné d’une croix blanche chargée d’une étoile rouge en son centre et une constitution en bonne et due forme. Installé dans son palais de paille, le nouveau souverain des Sedangs distribue des titres aussi ronflants qu’inexistants, renonce à sa nationalité française, épouse une de ses congaïs qui aura le bon ton de mourir rapidement et prend le nom de Marie Ier. ll dote son jeune État de tous les attributs de la souveraineté : un drapeau (azur frappé d'une croix de Malte avec une étoile rouge en son centre), une devise (Jamais cédant, toujours s'aidant), crée une douane, un service des postes avec ses propres timbres et différentes décorations (ordre royal sedang, ordre du mérite sedang, ordre de Sainte-Marguerite) pour récompenser les lettres, les arts, les sciences, l'industrie et le dévouement à la maison royale. Il crée une armée avec 20 000 hommes équipés de revolvers Remington et d'arbalètes et promulgue une constitution. Le village de Kon Jaraï devient sa capitale et le catholicisme est la religion d’État. Le voilà protecteur des Moïs, il contresigne des traités qui n’ont de valeurs que pour ceux qui les signent  et prend son rôle très au sérieux. Sa cour est principalement constituée de chefs de tribus, agrémentée de femmes à la poitrine dénudée qui se disputent le titre de maîtresse en chef du palais. Au grand dam des missionnaires qui envoient des rapports au gouvernorat-général. Cependant,  peu à peu ses compagnons d’armes finissent par le quitter et lui-même malade, doit rejoindre Saigon en septembre suivant pour aller se faire soigner, accompagné par sa garde d’honneur d’opérette.

 

La déchéance du roi.

 

L’avidité est plus forte que l’intérêt national. Rétabli de ses fièvres, le roi des Sedangs négocie la vente de son royaume aux anglais. La colonie française d’Annam est stupéfaite et cette décision soulève un tollé général, un violent débat opposant cléricaux et anti-cléricaux. Ces derniers accusent les premiers de soutenir les prétentions d’un sot pour se tailler une théocratie. A Paris, où il séjourne le roi  tente de rencontrer, en vain, le président Sadi Carnot, fait éditer timbres, confectionner un nombre de costumes qu’il vend aux plus crédules venus écouter ses exploits quand ce ne sont pas des titres nobiliaires et des décorations. Le roi héréditaire, David de Mayréna, est redevenu cet escroc qui se convertit à la religion musulmane durant son voyage en Egypte. Il cumule les aventures féminines et convole en justes noces pour la 4ème fois. Apprenant son arrivée imminente en Indochine, cette fois les autorités françaises et siamoises sont bien déterminées à l’empêcher  de regagner son royaume.  Le 18 avril 1890, à Singapour, le consul de France lui apprend que le gouvernorat-général l’a démis de ses fonctions, pire que son royaume n’a aucune reconnaissance.

Exilé sur la petite île malaisienne de Tioman après avoir été accusé de haute trahison (il avait cette fois proposé son royaume au Kaiser Guillaume Ier), abandonné de tous y compris de son épouse qui avait compris que la tiare promise lui échappait, le roi Marie Ier va vivre de maigres revenus issus de la vente de nids d’hirondelles. Persuadé d’être persécuté par les autorités françaises, sa santé mentale se dégrada et le 11 novembre 1890, il fut retrouvé mort, gisant sur le sol de sa cabane de bois. Un décès qui demeure encore mystérieux aujourd’hui. Empoisonnement, morsure de serpent, meurtre ou suicide, on a tout écrit sur un sujet qui passionna quelques décennies plus tard, André Malraux[1].

 

Que reste-t-il du royaume des Sedangs ?

 

Et comme le royaume de Patagonie à la vie tout aussi brève mais encore fantasmé de nos jours, celui du Sedang n’échappe pas au mythe de la survivance.  C’est en novembre 1995 qu’il a été de nouveau exhumé par une « assemblée pour la restauration de la noblesse sedang », établie à Montréal, avec à sa tête un régent autoproclamé « colonel » et d’origine eurasienne, Derwin J.KW. Mak, désigné pour retrouver un éventuel prétendant au trône, avant d’être remplacé en 1997 par la comtesse Capucine Plourde de Kasara. En 1999, à force de recherches généalogiques, on retrouva deux descendants du roi Marie Ier par une branche collatérale. Mais les intéressés, un français et un vicomte belge, déclinèrent cette couronne jugeant conjointement l’idée totalement saugrenue.

 

Pour aller plus loin :
Maurice Soulie, Marie Ier, roi des Sedangs, 1888-1890, Marpon 1927.
Bernard Hue, Littératures de la péninsule indochinoise, Karthala, 1999. 
Lionel Lecourt, Marie 1er, Roi des Sedangs en Indochine, L'Harmattan, 2012.
Antoine Michelland, Marie Ier, Le dernier roi français, Perrin, 2012.

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[1] André Malraux, Le Règne du Malin, dans Œuvres complètes, tome III, Bibliothèque de La Pléaïde, 1996. Roman inachevé.



09/01/2018
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