De l’affaire Canaby à Thérèse Desqueyroux.
« Plus qu’un quartier commerçant, plus que des façades, les Chartrons sont une civilisation[1].» C’est dans ce quartier de Bordeaux qu’une affaire d’empoisonnement défraye la chronique à la Belle Époque. Au début de mai 1905 naît une rumeur qui se propage, grandit, s’amplifie, à tel point que toute la France s’en empare, avant que la justice, à son tour, n’intervienne. Elle concerne Henriette-Blanche Canaby, née Sabourin, soupçonnée d’adultère et de tentative d’assassinat sur son mari, par empoisonnement à l’arsenic. Elle est bien vite surnommée l’« empoisonneuse des Chartrons », ce quartier bourgeois du négoce du vin bordelais. Ainsi les assises de la Gironde vont être conduites à juger, en moins d’un siècle, trois importantes affaires d’empoisonnements criminels à l’arsenic perpétrés par des femmes. Car après Henriette vient le jugement de Paule Guillou, préparatrice en pharmacie, pour les homicides par empoisonnement de son amant, pharmacien d’officine, et de la mère de celui-ci. La dernière de ces poursuites criminelles concerne Marie Besnard ( voir : https://www.pierre-mazet42.com/lamour-a-larsenic-les-destins-croises-de-marie-lafarge-et-marie-besnard ) qui, accusée d’avoir empoisonné ses proches pour hériter, a été finalement acquittée au bénéfice du doute lors de son troisième procès en 1961. Le jour de l’ouverture du procès d’Henriette, qui s’annonce spectaculaire, le président Pradet-Ballade a pris des mesures pour prévenir tout débordement. Au milieu de la foule contenue par les forces de l’ordre, s’est glissé un fils de bonne famille : François Mauriac. Ce timide étudiant en lettres de 20 ans voit cette « petite silhouette entre les deux gendarmes dans le box des accusés, cette bouche mince, cet air traqué »
Ainsi est né « Thérèse Desqueyroux », le livre publié par l’écrivain en 1927 et qui sera ensuite adapté au cinéma, en 1962 par Georges Franju, puis en 2012 par Claude Miller. « J’ai emprunté à son affaire les circonstances matérielles de l’empoisonnement mais je n’ai pris qu’une silhouette », dira l’écrivain qui s’intéresse moins au récit du crime qu’au tableau de mœurs de la société bourgeoise qu’il dépeint.
Au départ, était La rumeur.
Au cœur de l’affaire des Chartrons, il y a le couple Canaby, apprécié et respecté dans le milieu du négoce de vins. Lui, apparait comme un négociant avisé, elle comme une jolie brune bien émancipée, délurée pour l’époque.
L’image idyllique de la famille Canaby est sensiblement brouillée par l’intrusion d’un autre personnage en 1903 : il s’agit de Monsieur Rabot, un ami d’enfance d’Henriette. Son arrivée, sa présence presque constante auprès du ménage intriguent, suscitent la réprobation, puis une sorte de ressentiment puisque les anciens amis du couple ne sont plus conviés aux dîners des Canaby. Des rumeurs se répandent autour d’Henriette et de sa conduite. Début avril 1905, M. Canaby tombe malade. Il est soigné par le docteur Guérin, un jeune généraliste, qui diagnostique une grippe infectieuse. À cette époque-là, les bonnes du couple Canaby rapporte que, chez leur maître, il est consommé de hautes doses de liqueur de Fowler[2]. En raison des déclarations des bonnes, de nouvelles rumeurs se propagent . Les insinuations vont bon train. Certains osaient qu’Henriette ne serait pas fâchée de devenir veuve. On observait qu’elle percevrait une forte indemnité au titre de l’assurance vie souscrite par son mari et pourrait alors refaire sa vie avec son amant supposé.
De la rumeur à l’enquête.
Le 16 juin 1905, le docteur Gaube, exerçant à Roquefort (Landes), informe par lettre le procureur de la République de Bordeaux que des ordonnances signées de son nom et prescrivant des « quantités considérables de toxiques » avaient été présentées à des pharmaciens de la ville de Bordeaux. Il dépose plainte afin que la justice recherche dans quelles circonstances et dans quel but une personne inconnue a abusé de son nom. Une enquête judiciaire est immédiatement ouverte par le parquet.
Un rapport de police, transmis au procureur le 20 juin 1905, révèle qu’effectivement, fin avril et début mai 1905, la cuisinière de la famille Canaby s’est rendue à quatre reprises chez deux pharmaciens, munie d’ordonnances pour obtenir divers médicaments dangereux : chloroforme, aconitine, digitaline, cyanure de potassium. Les prescriptions, portant en réalité la fausse signature du docteur Gaube, étaient accompagnées d’un courrier médical semblant les justifier. En fait, seules les trois premières ordonnances contrefaites seront exécutées successivement les 27 avril, 1er et 4 mai 1905. Le second pharmacien, Monsieur Erny (remplacé par son frère), refusa de délivrer pour la troisième fois en huit jours, soit le 9 mai, une aussi grande quantité de produits dangereux (cyanure de potassium, digitaline) et avertit le docteur Guérin, médecin traitant de la famille Canaby, qui se mit en relation avec le futur plaignant, le docteur Gaube. Par le même rapport de police, le parquet est de surcroît informé que Monsieur Émile Canaby, 44 ans, alité depuis le 4 avril 1905 et traité pour une « grippe infectieuse », a été transporté le 13 mai à la maison de santé du docteur Villar, à l’initiative de ce dernier, du médecin traitant et de trois autres praticiens appelés en consultation : « Le malade présentait, paraît-il, tous les phénomènes d’une intoxication à très haute dose au point de produire un résultat contraire à celui espéré... En tout cas, M. Canaby s’est trouvé dans un état absolument grave, presque désespéré et malgré un traitement rationnel après un diagnostic des plus exacts, il n’est pas encore hors de danger » (rapport du 20 juin 1905).
Devant l’étrange coïncidence entre le caractère inhabituel de la grave affection de Monsieur Canaby et l’introduction concomitante à son domicile conjugal de fortes doses toxiques suite à l’utilisation de fausses ordonnances, l’éventualité d’un empoisonnement criminel s’impose. Le procureur désigne alors comme expert le docteur Paul-Louis Lande, médecin légiste, afin de procéder à l’examen du patient, déterminer le caractère de sa maladie et préciser s’il a été ou non victime d’une tentative d’empoisonnement. Cet éminent spécialiste se rend au chevet du malade et constate une amélioration certaine de son état. Il note « des signes de polynévrite, de myélite même, accidents observés dans le décours de nombreuses affections et en particulier d’infections ou d’intoxications graves ». Il conclut ainsi sa mission d’expertise : « Tout ce que je puis dire à l’heure actuelle, c’est que l’ensemble symptomatologique de la maladie dont a été atteint M. Canaby, sa marche, ses incidents subits, ses conséquences, présentent des caractères absolument anormaux et sont bien faits pour inspirer des suspicions sur la cause même de cette maladie et des accidents intercurrents. » L’affaire Canaby, d’un strict point de vue technique, est complexe car plusieurs substances ont été utilisées, brouillant les pistes et empêchant de poser un diagnostic précis. De la sorte, l’instruction prend assez vite une tournure singulière. Comment, en effet, prouver un empoisonnement lorsqu’il y a plusieurs poisons délivrés, dont il ne subsiste aucune trace ? Ces ordonnances, accompagnées de lettres portant le nom du docteur Gaube, ont donc permis à Madame Canaby d’entrer en possession de nombreux poisons en quantités importantes. Elle l’admet lors de son interrogatoire, mais elle se justifie en disant qu’ils étaient destinés au docteur Gaube et qu’un tiers est venu les chercher chez elle ; de la sorte, elle n’aurait été qu’une aimable intermédiaire. Le médecin lui aurait envoyé ses instructions par courrier signalant qu’il avait besoin de ces substances dangereuses pour mener à bien des expériences. Henriette Canaby donne le signalement précis du personnage qui serait venu prendre livraison des produits toxiques. Lorsque le magistrat instructeur fait perquisitionner son domicile, les enquêteurs trouvent uniquement de l’arsenic sous la forme de liqueur de Fowler, médicament couramment utilisé entre les années 1880 et la veille de la Première Guerre mondiale ; Émile Canaby en prend depuis plusieurs années.
De l’enquête au procès.
Le dossier d’instruction rassemble un faisceau d’éléments, mais, hormis la présence des ordonnances, aucune preuve tangible ne semble pouvoir être produite. Outre le milieu social dans lequel le drame s’est déroulé, l’affaire passionne et attise la curiosité publique. Dans une cour d’assises, il n’est pas fréquent que la victime soit présente et qu’elle se range du côté de celui ou de celle qui se trouve dans le box des accusés. Tous les ingrédients sont réunis pour faire du procès Canaby une grande affaire. Il n’est pas rare qu’un public nombreux se rende au palais de justice pour suivre les audiences d’affaires renommées. Aussi le président Pradet-Ballade prend-il des mesures pour prévenir les débordements possibles et La Petite Gironde (ancêtre de Sud-Ouest) se charge de les faire connaître. Le public aura bien accès, comme l’avait prévu le législateur et comme l’avait rappelé le garde des Sceaux, à l’enceinte publique de la cour d’assises, mais aucune carte de faveur ne sera distribuée. Seuls les magistrats, les avocats et les journalistes auront accès à l’enceinte réservée. Le public devra donc attendre devant les portes du tribunal. Cependant le jour de la première audience, le service d’ordre déployé s’avère impressionnant, plus important que ce qui avait été annoncé dans la presse locale. Assurément, la peur d’un mouvement de foule provoquant un scandale public a joué un rôle déterminant dans le dispositif mis en place. Plus de trois cents personnes attendent devant le tribunal sous la surveillance de soldats d’infanterie, de gardiens de la paix et d’agents de la Sûreté. De plus, quarante-six témoins sont convoqués pour les quatre jours d’audience. Alors que Madame Canaby, incarcérée au Fort du Hâ, est inculpée uniquement de faux et usage de faux, la Chambre des mises en accusation y ajoute le chef d’empoisonnement au vu des circonstances et des conclusions des diverses expertises médico-légales : polynévrite en régression et quantité importante d’arsenic dans les phanères de son conjoint (arrêt du 21 mars 1906). L’opinion publique locale, largement entretenue par la presse, se mobilise en deux camps : comme dans l’affaire Dreyfus, acquitté la même année, l’accusée possède ses partisans et ses adversaires. C’est donc dans un climat de grande effervescence, de scandale mondain, que la foule se masse aux portes du Palais de Justice de Bordeaux, le 25 mai 1906, jour d’ouverture du procès de « l’empoisonneuse du quai des Chartrons ». Jusque-là, Henriette Canaby s’était montrée fière et hautaine. Elle comparaît devant ses juges « le nez mauvais, l’œil inquiétant et la bouche aigre, tour à tour larmoyante sans sincérité ou âpre avec violence [3]». Durant quatre jours, elle tente de s’expliquer sur ses multiples déclarations contradictoires, manifestant un comportement surprenant pour une femme en principe digne et pudique : elle crie, gémit, pleure, tombe même en syncope à l’audience du matin du 27 mai, ce qui lui vaut un examen en urgence des docteurs Arnozan, Lande et Villar à la demande du président de la cour d’assises. Ces experts constatent « une fatigue physique et une dépression morale manifeste » ainsi que « une anesthésie presque complète au pincement sur toute l’étendue du corps » lors d’une seconde syncope survenue à la prison en début d’après-midi. Madame Canaby est aidée dans sa défense par la victime elle-même, qui témoigne en sa faveur. Son mari, en effet, n’hésite pas à modifier ses dépositions antérieures et à abonder dans son sens. Ils forment bloc face à l’accusation qui mettra en doute la bonne santé mentale de l’accusée en citant l’hypothèse de l’hystérie. Au terme du 28 mai 1906, le verdict tombe : coupable, avec circonstances atténuantes, d’avoir écrit les ordonnances et d’en avoir fait usage ; acquittée du crime d’empoisonnement. Elle est seulement condamnée à 100 francs d’amende et 15 mois de prison, pour faux et usage de faux, peine qu’elle n’effectue pas en totalité. Comprendre ce drame familial nécessite de pénétrer plus avant dans la vie intime des personnages et de scruter l’« intérieur uni et prospère » du ménage. Le mari est présenté comme un homme travailleur qui assume son rôle d’époux puisqu’il procure à sa femme une vie relativement aisée. Cependant il est dépourvu de fortune personnelle. Il n’est ni tout à fait un héritier ni tout à fait un des nouvelles couches de la société dont l’avènement avait été annoncé par Gambetta. Toutefois, la situation financière du couple présente quelques failles. Suite à la liquidation d’une société, Émile Canaby doit une forte somme d’argent à son ancien associé. Il a demandé à un ami proche de lui servir d’arbitre lors d’un arrangement à l’amiable. Son ancien associé s’est engagé à ne rien exiger de Monsieur Canaby tant qu’il ne lui est pas possible de le rembourser. Ces aspects ne semblent cependant guère importants pour la justice qui se contente de les constater, mais n’y voit aucune relation directe avec l’affaire elle-même. Henriette Canaby remplit parfaitement son rôle de mère et d’épouse. Le témoignage le plus important est celui de la mère de son mari, présentée comme une femme vertueuse, qui vit avec le couple depuis le début de leur mariage, soit une dizaine d’années. Elle est amenée, pour répondre aux sollicitations de la justice, à donner son sentiment sur les relations entre sa belle-fille et Monsieur Rabot et à se prononcer sur le crime. Elle fait le portrait plutôt flatteur d’une femme vertueuse et incapable de commettre une mauvaise action. Toutefois, sans donner de justification à son attitude, elle refuse de prêter serment. Nul doute que ce témoignage a eu un impact important sur les douze jurés de la cour d’assises de Bordeaux. À peine libérée, elle abandonne son mari et part à Paris. Elle ne revient en Gironde qu’en 1936, trente ans plus tard, pour vivre auprès de sa sœur à Cambes, sa commune natale. Elle est morte le 31 octobre 1952, à 86 ans. Quelques jours après, François Mauriac recevait le prix Nobel de littérature.
Mauriac et l’affaire Canaby.
En 1906, à l’âge de vingt ans, Mauriac assiste à l’affaire Canaby à Bordeaux. Dans le Romancier et ses personnages, essai paru en 1933, l’écrivain révèle s’être inspiré de ce souvenir de jeunesse pour écrire Thérèse Desqueyroux. Cette affaire a bouleversé François Mauriac. Il a noté dans son journal du 26 mai 1906 des mots touchant Mme Henriette Canaby: « Pauvre femme que je vis hier au banc de la cours d’assises, droite et pâle devant les hommes qui vous jugeaient, n’avez-vous pas senti vers vous, si pitoyable, si vaincue, un peu de mon humaine pitié ? ». Pour Mauriac, l’affaire Canaby a été la source d’inspiration principale dans la composition de Thérèse Desqueyroux. Pourtant, l’écrivain affirme que l’emprunt à la réalité est limité : « Avec ce que la réalité me fournit, je vais construire un personnage tout différent et plus compliqué». Il continue son témoignage en opposant Mme Canaby à Thérèse Desqueyroux :
« Les motifs de l’accusée avaient été, en réalité, de l’ordre le plus simple : elle aimait un autre homme que son mari. Plus rien de commun avec ma Thérèse, dont le drame était de n’avoir pas su elle-même ce qui l’avait poussée à ce geste criminel. »
Pour en savoir plus :
https://www.persee.fr/doc/rhbg_0242-6838_1993_num_35_1_1416
Cliquer ici pour télécharger.
[1] Guicheteau Gérard, « La gloire des Chartrons », Le Point, 13 mai 2004,
[2] Médicament contenant de l’arsenic, découvert en 1786 par le médecin anglais Thomas Fowler.
[3] Arné A.-M, De « L’affaire des Chartrons » au roman de François Mauriac « Thérèse Desqueyroux », thèse, Université de Bordeaux II,
Capitaine James Cook : un mousse devenu explorateur
Bougainville n’avait pas encore terminé son premier voyage, lorsque Cook entreprend le sien. Il hisse les voiles en direction du Pacifique le 26 août 1768. Il entame le premier d’une série de trois de voyages, lui aussi, à la recherche de l’hypothétique continent austral. Tous les trois se déroulèrent dans le Pacifique, les océans Atlantique et Indien n’étant que des voies d’accès à la Mer du Sud. Le premier voyage (1768-1771) a d’abord un but scientifique : observer le transit de Vénus[1] qui devait se produire le 3 juin 1769 et explorer le Pacifique Sud à la recherche de l’hypothétique continent. Au cours de son premier voyage, Cook avait démontré que la Nouvelle-Zélande n'était rattachée à aucune terre et estimé la taille de l'Australie. Mais, les membre de la Royale Society étaient cependant toujours persuadés de l’existence d’un continent plus grand, qui devait se trouver plus au sud. Ce fut donc le but du deuxième voyage (1772-1775). Cook poursuivit son exploration de la zone Antarctique. En janvier 1774, il écrit qu'il voulait aller « … plus loin qu'aucun homme n'est allé avant moi, mais aussi loin qu'un homme puisse aller ». Pour le troisième voyage, il s’agit plus de courir après la chimère du continent austral, mais de découvrir le passage du Nord-Ouest. Il espérait découvrir la route qui contournerait l’Amérique du Nord et déboucherait sur les richesses de l’Orient. La carte le dit clairement : la route par l’Arctique est de loin la plus courte. Cook n’y parvint pas. Il trouva même la mort au cours de ce dernier dans des conditions qui font encore aujourd’hui polémique. Son héritage colossal peut être attribué à son grand sens marin, des aptitudes poussées pour la cartographie, son courage pour explorer des zones dangereuses afin de vérifier l’exactitude des faits rapportés par d’autres, sa capacité à mener les hommes et à se préoccuper de leur condition sanitaire dans les conditions les plus rudes, ainsi qu’à ses ambitions, cherchant constamment à dépasser les instructions reçues de l’Amirauté.
Commis de ferme devenu marin.
James Cook est issu d'une famille relativement modeste, fils de James Cook, valet de ferme d'origine écossaise et de Grace, anglaise. Il est né à Marton dans le North Yorkshire, ville aujourd'hui rattachée à Middlesbrough. Il fut baptisé à l'église locale de St Curthberts Ormesby, où son nom figure au registre des baptêmes. La famille, comptant alors cinq enfants (les époux Cook en auront neuf), s'établit ensuite à la ferme Airey Holme à Great Ayton . L'employeur de son père finança sa formation à l’école primaire. À l’âge de 13 ans, il commença à travailler avec son père dans la gestion de la ferme.
En 1745, alors âgé de 17 ans, Cook fut placé en apprentissage chez un mercier de Staithes, village de pêcheurs. Selon la légende, Cook sentit pour la première fois l'appel de la mer en regardant par la fenêtre du magasin. Au bout d'un an et demi, William Sanderson, le propriétaire de l'entreprise, décréta que Cook n’était pas fait pour le commerce et le conduisit au port de Whitby où il le présenta à John et Henry Walker, quakers faisant commerce du charbon et propriétaires de plusieurs navires. Cook fut engagé comme apprenti de la marine marchande sur leur flotte. Il passa les années suivantes à faire du cabotage entre la Tyne et Londres. Parallèlement, il étudia l'algèbre, la trigonométrie, la navigation et l'astronomie.
Une fois ses trois ans d'apprentissage terminés, Cook travailla sur des navires de commerce en mer Baltique. Il monta rapidement en grade et, en 1755, se vit proposer le commandement du Friendship. Il préféra cependant s'engager dans la Marine royale. La Grande-Bretagne se préparait alors à la future guerre de Sept Ans et Cook pensait que sa carrière avancerait plus vite dans la marine militaire. Cela impliquait toutefois de recommencer au bas de la hiérarchie et c’est comme simple marin qu'il s’engagea à bord du HMS Eagle, sous le commandement du Capitaine Hugh Palliser. Il fut rapidement promu au grade de Master's Mate. En 1757, après deux ans passés au sein de la Navy, il réussit son examen de maîtrise lui permettant de commander un navire de la flotte royale.
A la découverte des mondes océaniens.
En novembre 1767, la Royal Society crée une commission sur le Transit de Vénus. La décision est prise d’envoyer des observateurs dans la baie d’Hudson, au Cap Nord en Norvège et dans l’océan Pacifique. En 1768, la Royal Society charge James Cook, à bord du HMB Endeavour, d’explorer l'océan Pacifique sud avec pour principales missions l'observation du transit de Vénus du 3 juin 1769 et la recherche d'un hypothétique continent austral. L'Endeavour est un trois-mâts carré du même type de ceux que Cook a déjà commandés, embarcation solide et idéale en termes de capacité de stockage ainsi que pour son faible tirant d'eau, qualité indispensable pour s'approcher des nombreux récifs et archipels du Pacifique. Après avoir passé le cap Horn, il débarque à Tahiti le 13 avril 1769, où il fait construire un petit fort et un observatoire en prévision du transit de Vénus. L’observation, dirigée par Charles Green, assistant du nouvel astronome royal Nevil Maskelyne, a pour but principal de recueillir des mesures permettant de déterminer, avec davantage de précision, la distance séparant Vénus du Soleil. Une fois cette donnée connue, il serait possible de déduire la distance des autres planètes, sur la base de leur orbite. Malheureusement, les trois mesures relevées varient bien plus que la marge d'erreur anticipée ne le prévoyait. Lorsque l'on compare ces mesures à celles effectuées au même instant en d’autres lieux, le résultat n'est pas aussi précis qu'espéré. Une fois ces observations consignées, James Cook ouvrit les scellés qui contenaient les instructions pour la seconde partie de son voyage : chercher les signes de Terra Australis, l'hypothétique pendant de l'Eurasie dans l'hémisphère nord. La Royal Society, et particulièrement Alexander Dalrymple, était persuadée de son existence et entendait bien y faire flotter l'Union Jack avant tout autre drapeau européen. Pour cela, on choisit de recourir à un bateau qui, par sa petite taille, ne risquait guère d'éveiller les soupçons, et à une mission d’observation astronomique comme couverture. Cook doutait cependant de l'existence même de ce continent. Il quitta alors Tahiti en compagnie de Tupaia, grand prêtre et surtout excellent navigateur ( https://www.pierre-mazet42.com/tupaia-le-guide-multi-etoile-de-cook ) Avec son aide, il explore une centaine d’iles, telle les îles de la Société et l’île de Rurutu. Cook atteint la Nouvelle-Zélande le 6 octobre 1769. Second Européen à y débarquer après Abel Tasman en 1642, il cartographie l'intégralité des côtes néo-zélandaises avec très peu d'erreurs. Il met ensuite cap à l'ouest en direction de la Terre de Van Diemen (actuelle Tasmanie) avec l’intention de déterminer s'il s'agissait d’une partie du continent austral. Des vents violents forcent cependant l'expédition à maintenir une route nord. L’expédition aperçoit la terre en un lieu que Cook nomma Point Hicks, entre les villes actuelles d’Orbost et de Mallacoota dans l'État du Victoria. Cook poursuit sa route vers le nord en longeant la côte, ne la perdant jamais de vue pour la cartographier et nommer ses points remarquables. Au bout d'un peu plus d’une semaine, ils pénètrent dans un fjord long mais peu profond. Après avoir mouillé devant une pointe basse précédée de dunes de sable qui porte actuellement le nom de Kurnell, l'équipage débarqua pour la première fois en Australie, le 29 avril. Cook baptisa tout d’abord le fjord Stingaree Bay en allusion aux nombreuses raies aperçues (stingray en anglais). L’endroit reçut ensuite le nom de Botanist Bay, puis finalement Botany Bay en raison des nombreuses nouvelles espèces découvertes par les botanistes Joseph Banks, Daniel Solander et Herman Spöring. Ce fut ici que pour la dernière fois, on aperçut les bateaux de monsieur de Lapérouse. À ce point du voyage, pas un seul homme n'a succombé au scorbut, fait remarquable pour une si longue expédition à l'époque. En effet, convaincu par une recommandation de la Royale publiée en 1747, Cook a introduit des aliments comme le chou fermenté ou le citron dans l'alimentation de son équipage. On sait alors que le scorbut est causé par une alimentation pauvre, mais le lien avec les carences en vitamine C n'a pas encore été établi. Pour avoir réussi à préserver la santé de son équipage, Cook recevra la médaille Copley en 1776.
La traversée du détroit de Torres prouve définitivement que l'Australie et la Nouvelle-Guinée ne sont pas reliées entre elles. L'Endeavour accoste ensuite à Savu où il passe trois semaines avant de continuer vers Batavia, capitale des Indes orientales néerlandaises, pour y effectuer quelques réparations. Batavia est connue pour être un foyer de malaria et avant le retour de l'expédition en 1771, plusieurs membres de l’équipage y ont succombé ainsi qu’à d’autres maladies telles que la dysenterie, dont le Tahitien Tupaia, le botaniste Herman Spöring, l'astronome Charles Green et l'illustrateur Sydney Parkinson. Le bilan de ce premier voyage était important : outre de nombreuses observations ethnographiques sur les populations polynésiennes et australiennes, le navigateur rapportait des précisions géographiques capitales sur les zones australes. Les mythes dont tant d'auteurs s'étaient nourris commençaient à s'effondrer.
Impatient de repartir.
À peine revenu, Cook ne songeait qu'à repartir et prépara à cet effet deux bâtiments: la Resolution qu'il montait et l'Adventure commandée par Tobias Furneaux. On embarqua pour deux ans et demi de vivres, un appareil de distillation de l'eau de mer et surtout quatre chronomètres. L'état-major scientifique comprenait deux naturalistes, les Forster père et fils, deux astronomes et un peintre dessinateur. Le but de l'expédition était cette fois commercial autant que scientifique, puisque Cook devait étudier les possibilités économiques des pays visités.
Les deux navires quittèrent Plymouth le 13 juillet 1772, et cette fois Cook adopta la route inverse de la précédente. Après escale aux îles du Cap-Vert, il arriva à Bonne-Espérance en août. Piquant ensuite au sud, il parvint le 14 décembre à la limite de la banquise par 67 degrés de latitude Sud. Longeant cette zone hostile pendant trois mois, les navigateurs regagnèrent ensuite la Nouvelle-Zélande, où ils arrivèrent le 26 mars 1773, puis remontèrent vers Tahiti dont les Forster feront une description aussi enthousiaste que celle de Bougainville. Comme celui-ci, Cook embarqua un jeune Tahitien (nommé Omai) qui suivit l'expédition. En octobre, celle-ci visita les îles Tonga et revint le 2 novembre en Nouvelle-Zélande. Après ravitaillement, Cook descendit à nouveau vers le sud jusqu'au 71e degré de latitude Sud, devinant la présence des terres antarctiques. Après de brèves escales à l'île de Pâques (mars 1774), aux Marquises et à Tahiti (avril), les navires firent route à l'ouest, en direction des Nouvelles-Hébrides (juin) et de la Nouvelle-Calédonie que Bougainville avait frôlée sans la voir. Cook en fera une superbe description. Après une dernière escale en Nouvelle-Zélande (octobre-novembre), il fit route vers le cap Horn. Le 22 mars 1775 il était à Bonne-Espérance, et le 30 juillet il rentrait à Plymouth.
Le dernier voyage.
Pour sa dernière expédition, Cook commandait à nouveau le HMS Resolution pendant que le capitaine Charles Clerke prenait la tête du HMS Discovery. Officiellement, le but du voyage était de ramener Omai à Tahiti, qui suscitait la plus grande curiosité à Londres. L’expédition explora tout d’abord les îles Kerguelen où elle accosta le jour de Noël 1776, puis fit escale en Nouvelle-Zélande. Une fois Omai rendu aux siens, Cook mit le cap au nord et fut le premier Européen à accoster aux îles Hawaii en 1778.
Naviguant ensuite le long du continent américain, Cook décrivit dans son journal les tribus indiennes de l'île de Vancouver, des côtes de l'Alaska, des îles Aléoutiennes et des deux rives du détroit de Béring.
Malgré plusieurs tentatives, le détroit de Béring se révéla infranchissable en raison des glaces qui l’obstruaient même au mois d’août. Accumulant les frustrations devant cet échec, et souffrant peut-être d'une affection de l’estomac, Cook commençait à montrer un comportement irrationnel, forçant par exemple son équipage à consommer de la viande de morse, que les hommes refusèrent.
L'expédition retourna à Hawaii l’année suivante. Après huit semaines passées à explorer l'archipel, Cook débarqua à Kealakekua Bay sur l'actuelle Grande Île où il séjourna un mois. Peu après son départ, une avarie du mât de misaine le contraint à rebrousser chemin pour réparer. Au cours de cette seconde escale, des tensions se firent sentir entre les indigènes et les Britanniques et plusieurs bagarres éclatèrent. Le 14 février, des Hawaiiens volèrent une chaloupe. Les vols étant courants lors des escales, Cook avait pour habitude de retenir quelques otages jusqu’à ce que les biens volés soient restitués. Cette fois, il prévoyait de prendre en otage le chef de Hawaii, Kalaniopu'u. Une altercation éclata cependant avec les habitants qui attaquèrent à l'aide de pierres et de lances. Les Britanniques tirèrent quelques coups de feu mais durent se replier vers la plage. Cook fut atteint à la tête et s'écroula. Les Hawaïens le battirent à mort, puis enlevèrent son corps.
Cook jouissait malgré tout de l'estime des habitants de Hawaii et les chefs conservèrent son corps (des hypothèses controversées font état d'une possible consommation humaine). L'équipage put cependant récupérer une partie de son corps afin de l’inhumer en mer avec les honneurs militaires.
Clerke prit le commandement de l'expédition. Il profita de l'hospitalité d'un port russe du Kamtchatka pour tenter une dernière fois, sans succès, de franchir le détroit de Béring. Clerke mourut de tuberculose (alors appelée phtisie) en août 1779 et le lieutenant Gore prit sa succession pour la route du retour par les côtes asiatiques, comme prévu par Cook. En décembre, les journaux de bord furent confisqués à l’escale à Macao et Canton en raison de la guerre d'indépendance des États-Unis. Gore parvint cependant à en cacher un exemplaire. Le Resolution et le Discovery arrivèrent en Grande-Bretagne le 4 octobre 1780. Le rapport de Cook fut complété par le capitaine James King.
Parmi les conseils et enseignements de ce voyage, Cook et ses officiers en second validèrent leurs idées sur l'alimentation pour éviter le scorbut, ainsi que l'usage d’ « écorce du Pérou », un équivalent de la quinine.
Que reste-t-il des expéditions de James Cook ?
Les douze années que Cook consacra à naviguer dans le Pacifique apportèrent énormément de connaissances de la région aux Européens. Il découvrit plusieurs îles et cartographia avec précision de larges portions de côte. Dès son premier voyage, il fut capable de calculer précisément sa longitude, ce qui n'était pas du tout évident à l'époque car cela nécessitait de connaître l'heure avec exactitude. Cook bénéficiait de l'aide de l'astronome Charles Green qui employa les nouvelles tables de l'almanach nautique, se basant sur l'angle séparant la lune du soleil (de jour) ou de l'une des huit étoiles les plus brillantes (de nuit) pour déterminer l'heure à l'Observatoire royal de Greenwich, qu'il comparait à l'heure locale déterminée grâce à l'altitude du soleil, de la lune ou des étoiles. Cook était accompagné de peintres (Sydney Parkinson réalisa 264 dessins avant sa mort à la fin du premier voyage, William Hodges représenta de nombreux paysages de Tahiti et de l'île de Pâques) et de scientifiques de renom. Joseph Banks et Daniel Solander recueillirent 3 000 espèces de plantes.
Cook fut le premier Européen à établir un contact rapproché avec plusieurs peuples du Pacifique. Il conclut, avec raison, à l'existence d'un lien entre eux, malgré les milliers de miles d'océan qui les séparaient parfois.
L'endroit où Cook a été tué dans les iles d'Hawaii est marqué par un obélisque blanc et est séparé du reste de l'ile : le lieu a été cédé au Royaume-Uni et fait officiellement partie de son territoire. Le portrait de Cook apparait sur une pièce des États-Unis, le demi-dollar de 1928 du cent cinquantenaire de Hawaï.
Enfin un jeune officier du nom de William Bligh fit ses premières armes avec James Cook, il est devenu célèbre un peu plus tard en commandant le Bounty, provoquant par sa rigidité la mutinerie la plus célèbre de la marine anglaise.
Pour en savoir plus :
Anne Pons - James Cook, le compas et la fleur-Éditions Perrin (Paris) – mai 2015
Cet article met fin à la série sur les explorateurs du Pacifique, la liste des pages, écrites sur le sujet, figure dans le tableau ci-dessous.
Les explorateurs du Pacifique.
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[1] Un transit de Vénus devant le Soleil se produit lors du passage de la planète Vénus exactement entre la Terre et le Soleil, occultant une petite partie du disque solaire. Pendant le transit, Vénus peut être observée depuis la Terre sous la forme d'un petit disque noir se déplaçant devant le Soleil.
Recherche de témoignage - puits de la Chana
Pour préparer un polar, je suis à la recherche de personnes à qui on aurait raconté la catastrophe du puits de la Chana en 1942 à Villars . Si vous vous souvenez , d'un père, d'un grand-père d'un oncle... qui vous auraient raconté quelque chose à ce sujet, n'hésitez à me contacter...
Merci d'avance
Les Lamaizière, architectes des Nouvelles Galeries
La famille Lamaizière est une véritable dynastie d’architectes qui eut son heure de gloire à la charnière des XIXème et XXème siècles. D’origine stéphanoise, elle a profondément et durablement marqué le paysage urbain local. Son activité débordante a très largement dépassé le cadre du Forez. Le père, Pierre Lamaizière est né à Saisy (Saône-et-Loire) le 25 mars 1855. Il est le fils de Jean Lamaizière, cultivateur, et de Claudine Royer. Il entre en 1874, comme dessinateur, au bureau d’architecture de la ville de Saint-Étienne. Sa carrière est rapide. En 1880, il ouvre une agence d’architecture, rue Marengo et en 1885, il est nommé architecte en chef de la ville. En 1902, il quitte son poste d'architecte de la ville et ouvre une agence Place Mi-Carême (actuelle place Jean Plotton). Son fils, Marcel Claude Léon Lamaizière, élève de l'école des Beaux-Arts de Paris, rejoint son père en 1905. Dès l’ouverture, les commandes affluent. Le concept architectural de son cabinet, qui offre un projet de travail "tout compris", séduit les clients potentiels. Il décroche ainsi, dès son ouverture, des commandes importantes provenant des grands capitaines d’industrie qui peuplent Saint-Étienne à la fin du XIXème siècle. Le père et le fils travaillent alors main dans la main, les deux hommes se complétant parfaitement. En effet, l’un possède un esprit pratique et organisateur, joint à de réels talents de négociateurs, avec une grande fermeté dans la conduite des chantiers, l’autre est un artiste, doué pour le dessin, auteur de façades remarquables, décorateur d’intérieur raffiné. Bien au-delà de Saint-Etienne, le cabinet connaît une notoriété nationale grâce à sa collaboration avec la famille Démogé-Canlorbe, famille fondatrice du "Grand Bazar" qui deviendra rapidement les "Nouvelles-Galeries". Ainsi entre 1894 et 1930, sont construits, dans toute la France une trentaine de magasins qui portent leur marque. Les Lamaizière ont contribué à une large diffusion du modèle de grand magasin à tourelle d'angle, repris avec des variations à l'infini. L'intérieur s'organise généralement autour d'un grand escalier desservant des galeries éclairées par un ciel vitré. Le nouveau projet municipal de régénération du centre-ville de Saint-Etienne donne à Léon Lamaizière l’occasion de gravir un nouvel échelon de cette réussite exceptionnelle. En 1907, profitant de la nouvelle réglementation sur la voirie des villes, votée en 1905, il fonde la "Société des Immeubles Modernes" dont il est à la fois l’administrateur principal, l’architecte et le maître d’œuvre de ces nouveaux immeubles de rapport sis du 23 au 29 avenue de la Libération. A l’intérieur du paysage stéphanois, ils ont laissé une empreinte considérable. En autres réalisations, outre les « Nouvelles Galeries », on peut citer
- Manufrance (Cours Fauriel) ;
- La Bourse du Travail (Cours Victor Hugo) en 1901-1902 ;
- La Condition des Soies (rue d'Arcole) en 1909-1910 ;
Le cabinet connaît toutefois un tragique destin. Marcel, le fils chéri, meurt le 5 novembre 1924 à l’âge de quarante quatre ans. Son père aura du mal à surmonter sa peine et se remettre au travail. Deux ans plus tard, il cède le cabinet d’architecte à deux de ses plus proches collaborateurs, Pierre Mas et Francisque Martin. Le ressort est définitivement cassé. Il se retire alors à Annecy où il s’éteint le 23 septembre 1941. A Saint –Etienne, une rue du quartier de la Terrasse porte le nom de Léon Lamaizière.
Pour en savoir plus :
Les archives municipales lui ont consacré une belle biographie : Les Lamaizière .
Au fil de la Loire.
De tout temps, la Loire a été un axe de communication pour les régions qu’elle parcourait. Notre département, traversé sur toute sa longueur par le fleuve, a pris une part active à la navigation qui l’animait. Au cours du XVIIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe, la navigation sur la Loire ne cesse de croitre : les marchandises en provenance du bassin méditerranéen, du Lyonnais, d'Auvergne transitent par Roanne pour être transportées dans les pays de Loire jusqu'à Nantes ou à Paris. Le transport des voyageurs est très intense malgré́ la lenteur et l'incertitude de la navigation sur un fleuve aussi irrégulier : à sec en été, dangereux en hiver par ses crues fréquentes et brutales. Le projet de rendre la Loire navigable pour relier Saint-Etienne à Roanne avait déjà été envisagé dès la fin du XVI° siècle puis plus sérieusement en 1670, sans suite toutefois. A la suite de l’ouverture du canal de Briare en 1642, créant le passage de la Loire à la Seine, s’ouvrait, après Nantes ,la route de Paris pour l’acheminement du charbon vers les manufactures royales. Des deux bassins houillers repérés, Brassac dans le Haut-Allier et Saint-Etienne, c’est le premier qui est choisi. L’Allier plus docile sera le premier vecteur de ce commerce. Quand ce bassin ne suffit plus, on se tourne vers le bassin stéphanois. En 1702, par lettres patentes du roi Louis XIV sont octroyés le droit et le monopole de la navigation sur la Loire à Pierre De La Gardette qui avait remis le projet au goût du jour, à savoir, aménager le cours de la Loire jusqu’à Roanne à ses frais et assurer ensuite son entretien, en compensation, des droits de navigation. La Compagnie La Gardette réalise les travaux de 1702 à 1705. Ces travaux consistent à réduire principalement les rochers amoncelés au Saut du Perron obstruant le passage dans les gorges de Villerest. En 1705, un premier « bateau » dénommé « sapine ou ramberte », fabriquée à Saint-Rambert, descend, chargé de charbon de Roche-la-Molière, le cours de la Loire depuis Saint-Just jusqu’à Roanne. Ce sont des barques légères à fond plat de 27 mètres de long, 4 mètres de large et 1,10 mètre de profondeur. L'arrière est vertical pour profiter de la poussée du courant, l'avant fuyant pour glisser plus facilement sur les hauts fonds. Construites en minces planches de sapin, elles présentent une grande souplesse qui évite leur fracas sur les écueils. Elles sont manœuvrées à l’aide de longues perches ferrées et un aviron de six mètres de long à l'arrière, « l'empeinte ». Arrivées à destination, elles sont « déchirées » et vendues comme bois de chauffe. Elles permettent dès lors le transport du charbon de terre du bassin stéphanois. Chargées de 15 à 25 tonnes, selon l'état du fleuve, au port de Noirie près de Firminy, ces embarcations descendent le fleuve d'abord calme, puis sur 23 kilomètres doivent affronter les dangers des gorges de la Loire de Balbigny à Roanne. Le paroxysme est atteint au passage du Saut du Perron avec ses écueils et son dénivelé́ de trois mètres sur une très courte distance. Cinq bateliers ne sont pas de trop pour gouverner la « saint-ramberte « dans le courant. A Roanne, un complément de cargaison est effectué. Une partie de la charge d'un bateau est transférée sur un autre pour atteindre 40 à 45 tonnes. Les sapines sont alors couplées. Solidement attachées l'une à l'autre, la première qui porte la cabane dépasse de trois mètres la seconde : c'est le bout avant. Cet ensemble manœuvré par deux hommes descend le fleuve jusqu'à Briare.
Les rambertes fréquenteront la Loire de 1704 à 1860, après avoir connu leur apogée en 1846. Elles cessent d'être construites en 1860, concurrencées à la fois par le rail et les canaux latéraux à la Loire. Ce furent ainsi des milliers de bateaux qui, en un siècle et demi, seront descendus du haut Forez. Cette construction massive est aussi responsable de la déforestation de la haute-vallée de la Loire, et en partie de la gravité des grandes crues des XVIIème et XIXème siècle, en particulier 1790, 1846, 1856 et 1866.
Pour en savoir plus :
Jean Lavigne, La batellerie de Loire "haute" du Gerbier de Jonc au Roannais, 1702-1764, Saint-Barthélemy-Lestra : éditions faucoup, collection "Histoire et Patrimoine", 2016