Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

Chroniques stéphanoises


Au fil de la Loire.

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De tout temps, la Loire a été un axe de communication pour les régions qu’elle parcourait. Notre département, traversé sur toute sa longueur par le fleuve, a pris une part active à la navigation qui l’animait. Au cours du XVIIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe, la navigation sur la Loire ne cesse de croitre : les marchandises en provenance du bassin méditerranéen, du Lyonnais, d'Auvergne transitent par Roanne pour être transportées dans les pays de Loire jusqu'à Nantes ou à Paris. Le transport des voyageurs est très intense malgré́ la lenteur et l'incertitude de la navigation sur un fleuve aussi irrégulier : à sec en été, dangereux en hiver par ses crues fréquentes et brutales. Le projet de rendre la Loire navigable pour relier Saint-Etienne à Roanne avait déjà été envisagé dès la fin du XVI° siècle puis plus sérieusement en 1670, sans suite toutefois. A la suite de l’ouverture du canal de Briare en 1642, créant le passage de la Loire à la Seine, s’ouvrait, après Nantes ,la route de Paris pour l’acheminement du charbon vers les manufactures royales. Des deux bassins houillers repérés, Brassac dans le Haut-Allier et Saint-Etienne, c’est le premier qui est choisi. L’Allier plus docile sera le premier vecteur de ce commerce. Quand ce bassin ne suffit plus, on se tourne vers le bassin stéphanois. En 1702, par lettres patentes du roi Louis XIV sont octroyés le droit et le monopole de la navigation sur la Loire à Pierre De La Gardette qui avait remis le projet au goût du jour, à savoir, aménager le cours de la Loire jusqu’à Roanne à ses frais et assurer ensuite son entretien, en compensation, des droits de navigation. La Compagnie La Gardette réalise les travaux de 1702 à 1705. Ces travaux consistent à réduire principalement les rochers amoncelés au Saut du Perron obstruant le passage dans les gorges de Villerest. En 1705, un premier « bateau » dénommé « sapine ou ramberte », fabriquée à Saint-Rambert, descend, chargé de charbon de Roche-la-Molière, le cours de la Loire depuis Saint-Just jusqu’à Roanne. Ce sont des barques légères à fond plat de 27 mètres de long, 4 mètres de large et 1,10 mètre de profondeur. L'arrière est vertical pour profiter de la poussée du courant, l'avant fuyant pour glisser plus facilement sur les hauts fonds. Construites en minces planches de sapin, elles présentent une grande souplesse qui évite leur fracas sur les écueils. Elles sont manœuvrées à l’aide de longues perches ferrées et un aviron de six mètres de long à l'arrière, « l'empeinte ». Arrivées à destination, elles sont « déchirées » et vendues comme bois de chauffe. Elles permettent dès lors le transport du charbon de terre du bassin stéphanois. Chargées de 15 à 25 tonnes, selon l'état du fleuve, au port de Noirie près de Firminy, ces embarcations descendent le fleuve d'abord calme, puis sur 23 kilomètres doivent affronter les dangers des gorges de la Loire de Balbigny à Roanne. Le paroxysme est atteint au passage du Saut du Perron avec ses écueils et son dénivelé́ de trois mètres sur une très courte distance. Cinq bateliers ne sont pas de trop pour gouverner la « saint-ramberte « dans le courant. A Roanne, un complément de cargaison est effectué. Une partie de la charge d'un bateau est transférée sur un autre pour atteindre 40 à 45 tonnes. Les sapines sont alors couplées. Solidement attachées l'une à l'autre, la première qui porte la cabane dépasse de trois mètres la seconde : c'est le bout avant. Cet ensemble manœuvré par deux hommes descend le fleuve jusqu'à Briare.

Les rambertes fréquenteront la Loire de 1704 à 1860, après avoir connu leur apogée en 1846. Elles cessent d'être construites en 1860, concurrencées à la fois par le rail et les canaux latéraux à la Loire.  Ce furent ainsi des milliers de bateaux qui, en un siècle et demi, seront descendus du haut Forez. Cette construction massive est aussi responsable de la déforestation de la haute-vallée de la Loire, et en partie de la gravité des grandes crues des XVIIème et XIXème siècle, en particulier 1790, 1846, 1856 et 1866.

 

Pour en savoir plus :

Jean Lavigne, La batellerie de Loire "haute" du Gerbier de Jonc au Roannais, 1702-1764, Saint-Barthélemy-Lestra : éditions faucoup, collection "Histoire et Patrimoine", 2016


06/07/2024
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Noel Pointe : Premier ouvrier-député

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Tous les Stéphanois connaissent la rue Pointe Cadet qui unit la rue Léon Nautin à la rue du Bois, tout près de la place Chavanelle. L’histoire de l’homme, qui lui donna son nom, est sans doute moins connue. Pour l’état-civil, il est bien Noël Pointe. Le terme de Cadet a été ajouté car son frère ainé portait déjà le prénom de Noël et il fallait bien les distinguer ! Noël Pointe est né le 12 juillet 1775 à Saint-Etienne. Son père était armurier, et était domicilié rue Notre Dame dans le quartier ouvrier de Chavanelle. Noël Pointe Cadet appartient en effet à cette corporation d'armuriers qui va faire de la ville le principal arsenal des armées révolutionnaires. Noël fait partie de ces gens du peuple qui ont été les vrais acteurs de la Révolution française. Il aurait pu faire partie de ces individus qui se sont enrichis et qui ont réussi leur ascension sociale à la faveur des événements. Rien de tel pour Noël Pointe. Pauvre il commença, pauvre il finit. Il serait sans doute resté un oublié de l’histoire si Jaurès ne l’avait pas cité dans son « Histoire socialiste de la Révolution française », comme le seul ouvrier de la Convention. 

 

Un acteur précoce de la Révolution stéphanoise.

 

En novembre 1789, Claude Odde, est emprisonné pour avoir dénoncé la main mise sur un stock d’armes par des contre-révolutionnaires. La mobilisation populaire est immédiate. Plus de cinq mille fusils sont extraits de la Manufacture et l’émeute se déporte à Montbrison. Noël en fait partie et Claude Odde est libéré. Quelques années plus tard, Noël fit son éloge devant la Convention. Les émois s’apaisent quelque peu et Noël est nommé commissaire de son quartier pour prendre « la liste exacte des familles indigentes ». En mars 1790, lors des premières élections municipales, Noël ne paie pas un impôt suffisant, il n’est pas éligible. En compensation, il fait partie des gardes nationaux qui montent à Paris (au frais de la municipalité) pour participer à la fête de la fédération.

 

L’armurier devient député. 

 

On sait peu de choses de l’activité de Noël Pointe jusqu’à son élection. Il occupe probablement une place importante dans la « Société des amis de la Constitution ». Lorsqu’en 1791, une assemblée pro-jacobine (dirigée par Antoine Desverneys) est mise en place, il en est membre sans avoir les ressources nécessaires. En 1792, il est élu député à la Convention. Son premier acte connu de député est son texte du 30 novembre 1792 dans lequel il se déclare partisan de l’exécution de Louis XVI sans perdre de temps.

L'été 1793 est le moment où s’aiguise la rivalité entre Girondins et Jacobins. Il est alors chargé d'une première mission à Saint- Etienne, au moment même de la révolte des girondins, dont on sait que le principal foyer était à Lyon. Comme les troupes girondines marchaient sur le Forez et ne faisaient pas de quartier aux jacobins, il fut contraint de se cacher, afin d'éviter le sort funeste qui avait été, dans la grande cité voisine, celui de son collègue Chalier, puis il réussit à quitter clandestinement des lieux où sa vie était menacée. 

 

Relégué à vie.

 

Après la chute de Robespierre, il est vite mis politiquement à l'écart, exposé à des tracasseries, relégué dans des postes subalternes. Il mène dès lors une vie plutôt disloquée et médiocre, nommé successivement directeur d'une manufacture vouée à une prompte fermeture, puis greffier de tribunal. Privé de toute fonction publique sous le Premier Empire, père d'une famille très nombreuse, il reprend son métier d'armurier à Périgueux. A la fin du Premier Empire, on le retrouve percepteur dans une localité de Dordogne, Thénac. En 1816, il est frappé de bannissement par la Restauration (il était régicide). En 1818, Noël Pointe échappe à la déportation, mais il est enfermé pendant quelques mois dans la prison de Périgueux. Libéré de cette dernière, il se retire alors près du village de Monestier, en Dordogne, à La Bastide. Misérable et affaibli, il meurt en 1825, sur le chemin qui le conduisait à pied vers Bordeaux pour rejoindre l'une de ses filles demeurant dans cette ville. 

 

Dans la mémoire stéphanoise.

 

Depuis le 25 novembre 1921, il existe à Saint-Etienne une rue de la Convention et une rue Noël Pointe Cadet. Ce double hommage public fut décidé par la municipalité de gauche au lendemain de la première Guerre Mondiale. Il est significatif que les élus stéphanois aient tenu à honorer simultanément l'Assemblée révolutionnaire qui a proclamé la République en septembre 1792 et le député de Rhône-et-Loire qui s'y distingua surtout par ses origines ouvrières.

 

Pour en savoir plus :

https://www.forez-info.com/encyclopedie/histoire-sociale-de-la-loire/16850-noel-pointe-cadet.html


10/06/2024
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Marc Caussidière : du pavé stéphanois à la préfecture de police

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Devenir préfet de police de Paris n’était certainement pas inscrit dans les perspectives d’avenir du jeune Louis Marc Caussidière. Ni son cursus professionnel et encore moins ses opinions politiques ne lui permettaient de l’envisager. Marc Caussidière fait partie de ces hommes que les circonstances, en particulier dans des périodes troublées, projettent sur le devant de la scène révélant ainsi leurs qualités. Né le 18 mai 1808 à Lyon (Rhône) dans une famille d'artisans, marié à Caroline Dutertre, il travaille très tôt dans des fabriques (notamment de soieries) de Lyon et de Saint-Etienne. Il se révèle pleinement comme révolutionnaire lors des révoltes des Canuts d’avril 1834, auxquelles il participe, en particulier, à Saint-Etienne. Les ouvriers stéphanois tentent de rejoindre leur camarade lyonnais en grève contre La baisse sur les salaires décidée par les chefs de fabrique au début de l’année 1834. Le 9 avril, jour où commence devant les tribunaux le procès des chefs d’ateliers et des ouvriers poursuivis à la suite de la grève de février, est également celui de la cessation du travail.  Cette grève se transforme en une insurrection qui dure six jours et se termine par la défaite des ouvriers et des républicains. Il y eut de nombreux morts et blessés et quatre cents arrestations. Déjà, le 19 février, quelques républicains qui chantaient “La Marseillaise” se trouvèrent aux prises avec la police qui leur signifia d’avoir à se disperser. Le lendemain, la foule se réunit dans la rue et entonna l’hymne de Rouget de Lisle. La police intervint et des manifestants furent arrêtés. On voulut les incarcérer mais, devant la prison, leurs camarades tentèrent de les délivrer.  Une violente bagarre éclata. Plusieurs manifestants furent blessés à coup de baïonnette, et un agent fut tué d’un coup de couteau. Une centaine d’arrestations eut lieu par la suite. Parmi les personnes arrêtées se trouvait Caussidière, le chef des républicains stéphanois qu’on essaya de rendre responsable du décès de l’agent. Caussidière eut d’ailleurs une attitude courageuse. Dans une lettre qui fut publiée quelques jours après, il revendiqua la responsabilité d’avoir organisé la manifestation pour protester contre l’interdiction du chant “La Marseillaise”. Il déclara également que les manifestants avaient eu raison de se défendre contre les brutalités de la police. Condamné, il est incarcèré au Mont-Saint-Michel. Il tente de s’évader. Son compagnon de fuite s’étant blessé, il renonce. Il bénéficie de l'amnistie générale de 1837. Il met à profit son métier de courtier en vins et eaux-de-vie au bénéfice du journal radical la « Réforme », en qualité de « voyageur » chargé de recruter abonnés et actionnaires. Ce qu’il fait avec un succès certain. On le retrouve à Paris, en 1839, où il conspire et fait partie de groupes et de sociétés sécrètes républicains.  Le 24 février 1848, Caussidière prend le fusil, monte sur les barricades et occupe la préfecture de police. Il est nommé le même jour, délégué́ de la République au département de la Police, le 29 février 1848, délégué à l’administration de la police de la Seine, nommé par le maire de Paris et le 

17 mars, préfet de police, dépendant directement du ministre de l’intérieur. A ce poste, il remplace les sergents de ville par les gardiens de Paris et crée, pour la garde de la préfecture, le corps des « Montagnards » composé de quatre compagnies rassemblant d'anciens membres des sociétés secrètes, d'anciens prisonniers politiques et des révolutionnaires résolus. Ils sont vêtus d'un uniforme original : blouse bleue, ceinture et cravate rouges. Élu du département de la Seine à l'Assemblée Constituante (23 avril 1848) tout en demeurant préfet de police, il reste dans une expectative suspecte lors de la journée insurrectionnelle (envahissement du Palais-Bourbon et de ministères) du 15 mai 1848 et se voit bientôt accusé d'en être le complice. Démis de ses fonctions de préfet de police, démissionnaire de son mandat de député, il se fait toutefois réélire représentant du département de la Seine lors de l'élection complémentaire du 4 juin 1848 par une forte majorité (147 400 voix pour 248 400 inscrits). Il reprend place à la Montagne, vote le 28 juillet contre le décret sur les clubs. Il monte à la tribune pour se défendre contre les accusations portées contre lui, mais l'Assemblée, ayant autorisé les poursuites à son encontre, vu le réquisitoire du procureur général lui attribuant la responsabilité des évènements du 15 mai, il prend la fuite et se réfugie à Londres, puis aux États-Unis où il reprend ses activités de courtage en liquides. La Haute Cour de Justice de Bourges le condamne par contumace à la déportation pour son implication dans la journée révolutionnaire du 15 mai 1848. Il écrit et publie ses Mémoires et ne revient à Paris qu'après l'amnistie de 1859, avant de décéder en janvier 1861. Il a sa rue à Saint-Etienne, au-dessus du quartier de Montaud. 

 

Pour en savoir plus :

 

https://maitron.fr/spip.php?article28246


02/06/2024
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PHILIBERT BESSON, FOU OU VISIONNAIRE ?

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On dit que la frontière est fragile entre les deux. Dans le cas de Philibert Besson, elle ne tient qu’à un fil. Même si ce personnage, n’est pas un Stéphanois « pure souche », il déclarait lui-même que c’est à Saint-Etienne qu’il remporta sa plus belle victoire le trois mars 1935 quand un cortège de 30 000 personnes l’accompagna depuis la place Chavanelle jusqu’à la place Marengo. 

 

Un brillant ingénieur.

 

Philibert voit le jour le 6 juin 1898 à Vorey-sur-Arzon. Sa mère, dentellière, est devenue veuve pendant sa grossesse.  Brillant élève, son instituteur se souvient qu’il « s’amusait, faisait des farces, mais lorsque je l’interrogeais, il savait toujours sa leçon. C’était le plus fort de la classe. » Pendant la Grande Guerre, Philibert devance l’appel en 1917 pour aller combattre. Blessé et fait prisonnier, il s’évade et à l’armistice de 1918, devenu sous-lieutenant, on le décore de la Croix de Guerre.  A Grenoble et Paris, il obtient deux diplômes d’ingénieur, en électricité et en mécanique. En 1925, il devient officier dans la Marine Marchande puis chef-mécanicien sur les paquebots des lignes d’Amérique.

 

Un maire anticonformiste. 

 

Le paysage politique du département de la Haute-Loire est alors sous la coupe du tout puissant et incontournable Laurent Eynac, un ancien aviateur de la première guerre mondiale qui réussit le tour de force d'avoir été 24 fois ministre. L'irruption dans son fief de Philibert ne pouvait qu'être explosive d'autant plus que notre trublion se met à battre à plate de couture les candidats par lui adoubés. En effet, Philibert est d'abord élu conseiller d'arrondissement avant de s'emparer de la mairie de Vorey. Déjà Philibert aime en découdre avec la justice et l’administration dans des histoires dignes de Clochemerle. Par son anticonformisme notoire, il fait obstacle à l’électrification soulevant les paysans contre le « trust de l’électricité ». Quant aux chemins de fer, il aime narguer la compagnie qui est monopole d’État, en voyageant sans billet. Et quand il invective le contrôleur, il doit en découdre avec la justice. A cause de ses rebellions et d’une certaine désinvolture, Philibert est suspendu par le préfet de son mandat de maire en 1930.

 

Coup de Tonnerre aux législatives.

 

Malgré son excentricité et son esprit contestataire, Philibert Besson bénéficie d’une popularité sans cesse grandissante, surtout parmi les paysans.

En 1932, il est candidat aux élections législatives dans la 1ère circonscription du Puy. Et juché sur sa puissante moto pétaradante, il parcourt la région, placardant lui -même ses affiches et guerroyant avec vigueur pour diffuser ses idées d’avant-garde. Cet homme, à la silhouette très typée et qui se flatte de parler cinq langues dont le « PATOIS », est connu dans toute la Haute-Loire.

C’est avec une très large majorité qu’il est élu député, sans étiquette, le 8 mai 1932.

Ainsi qu’il l’a promis à ses électeurs, il est le premier interpellateur du Gouvernement, en exposant les moyens propres à conjurer la crise économique qui ayant un caractère universel doit avoir, selon lui, une solution universelle. Il dénonce avec vigueur les « vautours du trust de l’électricité » qui produisent de l’électricité à bon marché mais la vendent fort cher. Il s’occupe d’affaires qui défraient la chronique sur un fond de malversations et de corruptions (le financier Stavisky, le magistrat Prince…).

Ayant des idées très personnelles sur tous les problèmes, Philibert Besson se trouve rapidement en conflit avec ceux qui ont contribué à son élection. En lutte contre les autorités de la Ville du Puy, il a maille à partir avec la magistrature et le barreau. Une ténébreuse histoire de vol de quittances va lui coûter son mandat parlementaire et le jeter vers de rocambolesques aventures. 

 

Le premier maquisard. 

 

Philibert Besson est accusé d’avoir soustrait, au lieu de la régler, une quittance de 3.500 francs dans l'étude de Me Barreyre, avoué au Puy. Le 7 Mars 1935, la levée de son immunité parlementaire qui permet son arrestation. C'est le départ d'une aventure qui va passionner la France.  Philibert berne en effet les policiers qui le guettent aux portes du palais Bourbon et s'évapore ! Toutes les forces de l'ordre du pays sont mobilisées pour retrouver le fuyard ; on le voit partout, de la Belgique à la Suisse, de St Malo à Dijon... Son arrestation est annoncée à Antibes, Laval, Valence...Mais il s'agit de sosies ou de plaisantins sympathisants. Des renforts considérables de gendarmerie sont dépêchés en Haute-Loire.  Leur PC est établi à Vorey dans la mesure où Philibert ne pourra pas manquer d'aller voir sa mère. On fouille les caves, les souterrains des châteaux, les grottes... Philibert reste introuvable. Les caricaturistes comme les chansonniers se régalent, « Le Canard Enchainé » s'en donne à cœur joie ; partout des comités de soutien sont créés, celui de Saint-Etienne réunissant plus de 700 membres. 

 

Une fin tragique.

 

Le microcosme politique ainsi désavoué est alors contraint à l’apaisement que préconise notamment le député de la Loire et futur maire du Chambon, Pétrus Faure. Finalement Philibert Besson accepte de se présenter à la police. Dans un ultime geste de panache c'est au fonctionnaire qu'il avait floué lors de son évasion du palais Bourbon qu'il se livre. Il est très vite gracié par le président de la République et acquitté par la cour d'assises de Riom pour l'affaire des quittances. Mais le rideau va bientôt tomber avec la guerre qui vient d'être déclarée. Elle est encore "drôle" en ce mois de décembre 1939 où Philibert, dans le café de Vorey, discute entre copains d'enfance des évènements. La propagande bat alors son plein : nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ; les chars Allemands, mais ils sont, chacun le sait, en carton et puis, de toute façon la ligne Maginot est infranchissable... Philibert réagit, apporte la contradiction, comme à son habitude, sans nuance.        

Le lendemain, il est arrêté et condamné à trois ans de prison pour propos défaitistes. Quelques mois plus tard, les évènements lui ont donné raison. Il participe pourtant à une mutinerie pour prendre les armes et tenter de stopper l'envahisseur. La répression est impitoyable : plus du quart des mutins vont mourir dans l'année qui suit, de faim et de mauvais traitements dans les geôles de l'État Français. Philibert est de ceux-là ; il a été notamment pris en grippe par un maton sadique surnommé "la chèvre" .... C'est sous ses coups qu'il meurt le 12 mars 1941 non sans avoir lancé à son tortionnaire son célèbre anathème " VAUTOUR !" Il pesait alors 33 kilos.

 

Que reste-t-il de Philibert Besson ? 

 

Avec ses lunettes rondes, Philibert Besson laisse un souvenir mâtiné de professeur et de Coluche. Pourtant avec son ami Joseph Archer, il fait circuler des pièces et billets d'une monnaie européenne, l'Europa qu'il a créée. Il s'agit de « la monnaie universelle, la monnaie de la paix », gagée sur le travail. Conceptuellement, il s'agit d'un troc organisé dans lequel, au lieu de mesurer le prix des marchandises en unités monétaires, la valeur de l'unité monétaire a été fixée, indépendamment de l'offre et de la demande, en fonction de quantités réelles de marchandises : un Europa vaut ainsi, une fois pour toutes, « 2 kilos de blé, 200 grammes de viande, 30 centigrammes d'or, 100 grammes de cuivre, 2 kilos d'acier, 50 centilitres de vin 10°, 200 grammes de coton, 10 kilowatts-heures, 1 tonne kilométrique, 30 minutes de travail ». Il a laissé une trace indélébile, grâce à la célèbre chanson de Georgius : « le lycée Papillon » dans laquelle un couplet lui est consacré :

 

Elève Trouffigne ?... Présent !

Vous êtes unique en Géographie.

Citez-moi quels sont les départements.

Les fleuv's et les vill's de la Normandie

Ses spécialités et ses r'présentants ?

Monsieur l'Inspecteur

Je sais tout ça par coeur.

C'est en Normandie que coul' la Moselle

Capital' Béziers et chef-lieu Toulon

On y fait l'caviar et la mortadelle

Et c'est là qu'mourut Philibert Besson.

Vous êt's très calé

J'donn' dix sans hésiter.

 

 Philibert n’est pas mort en Moselle, voilà qu'il ressuscite dès la fin de la guerre avec un bulletin de vote à son nom systématiquement déposé dans le même bureau de vote de Saint-Etienne. Au milieu des années 1980 il s'évapore un temps mais resurgit bien vite lors d'élections professionnelles d’une direction départementale du ministère des finances. De temps en temps aussi, dans le bureau de vote de La Baraillère, à Saint-Jean-Bonnefonds, il vient encore manifester sa présence.

 

Alors, fou ou visionnaire, chacun jugera !!!

 

Pour en savoir plus :

 

https://www.forez-info.com/encyclopedie/le-saviez-vous-/4454-immortel-philibert-besson-.html

 

Et pour s’amuser un peu :

 

https://www.youtube.com/watch?v=R1c6Fu-Wj8M


16/05/2024
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LE CHASSEUR FRANÇAIS : UNE HISTOIRE STÉPHANOISE.

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Aujourd’hui, rares sont celles et ceux qui vont chercher l’âme sœur dans la rubrique « mariages » du Chasseur Français. Ce magazine, qui porte allègrement ses cent trente-quatre ans, a pourtant été un précurseur en la matière. Mais, le minitel puis internet sont passés par-là. Le Chasseur Français fut créé en juin 1885, avec une périodicité́ mensuelle qu'il a conservée. Le journal était imprimé à Saint-Etienne, sur quatre pages d'un grand folio. Il se proposait d'être un journal populaire, et c'est pourquoi son abonnement ne coûtait qu'un franc. Il s'intéressait à tout ce qui touchait à la chasse : chiens, mœurs du gibier et « histoire naturelle », dressage, armes et munitions. Dès l'origine, Le Chasseur Françaisapparaît en réalité comme l'organe de la Manufacture française d'armes de Saint-Étienne qui s'associa bientôt, pour l'exploiter, à la Société des Docks réunis. Il leur servait de support publicitaire. Les débuts ne furent pas simples.  Quatre mois après sa création, il n’avait pas 5.000 abonnés, et c'est ce qui explique, en 1886, la réorganisation de la direction du journal : le directeur-fondateur fut remplacé par E. Mimard, qui devait devenir, quelques années plus tard, l'un des deux directeurs de la Manufacture. Entre les dernières années du XIXe siècle et la veille de la guerre, Le Chasseur Françaischangea progressivement mais complètement de formule. Dans l'entre-deux-guerres, son tirage a progressé rapidement pour approcher 400 000 avant 1940 ; il était l'un des tout premiers de la presse mensuelle. A la fin des années quarante, il a repris une rapide ascension, jusqu'à atteindre 850000 en 1970. Au début du siècle, Le Chasseur Français était assez proche de ce que l'on appelait déjà̀, dans les milieux publicitaires éblouis par l'Amérique, un « house organ ». Ces publications, éditées par une maison à destination de sa clientèle et d'un public sélectionné, furent rares en France. Le périodique de la Manufacture de Saint-Étienne fut un des premiers, et le seul à connaitre un destin aussi brillant. Réclames et annonces occupent dès l'origine la moitié de l'espace, et la proportion est restée constante.  Car, la fondation de la publication se rattachait à une politique commerciale : le développement des ventes par correspondance, et sans intermédiaire, rendu possible par la création du service des « colis postaux » à tarif unique, en 1880. Le Chasseur Français fut un instrument, peut-être le principal, qui devait faire de «Manufrance» l'une des premières, par la date et par l'importance, sociétés françaises de vente par correspondance. La rubrique des mariages fut une des dernières venues. Les premières annonces sont apparues à la fin du XIXe siècle, sous le titre « Hors classification » ou « Annonces spéciales », au milieu d'offres d'objets divers. Ainsi trouve-t-on une offre de mariage d'institutrice, et la proposition de parents cherchant un gendre, entre celle d'un « moteur à pétrole » et celle d'une « jolie petite machine à vapeur ». A partir de juillet 1903, la catégorie « Mariages » est inaugurée. Ces « petites annonces » constituent une formidable grille de lecture de la société française. A chaque époque, sa petite annonce. Une quête universelle de l'âme sœur qui s'étend sur plus d'un siècle, en dit long sur l'évolution des mœurs dans la société française.  

"Jeune homme, 28 ans, grand, brun, physique bien, ayant des économies et belle position dans commerce désire mariage avec femme d’intérieur, irréprochable sous tout rapport, grande et physiquement bien, ayant maximum 20 ans, dot minimum 50 000 francs, références hors ligne offertes et requises". Janvier 1899.

Les femmes bien sûr écrivaient également leurs doléances en matière d'homme. Là encore, les messages nous apprennent beaucoup sur leur place dans la société. Loyale Câline, en 1951, est une femme qui travaille avec des idées politiques bien à elle : "Impulsive, loyale, très câline, sportive, instruction secondaire, dactylo, 22, 1,60m, épouserait, seconderait de préférence colonial, intelligent et bon". Alors qu’en 1922, on est patriote et pragmatique : "Orpheline distinguée, jolie, parfaite femme d’intérieur, qualités morales, épouserait gentleman fortuné, éducation impeccable, 35 à 55 ans. Mutilé de guerre allié ou veuf serait accepté. Joindre Photo". En 1984, elles n'hésitent pas à être plus directes : "jeune femme avec trois enfants + deux chiens très grande race cherche un mari très riche".

 

 

Meetic.com, AdopteUnMec.com, Match.com, les sites de rencontres n’ont rien inventé et sont tous, plus ou moins, les descendants du Chasseur Français. Ce dernier n’est pas resté en reste en fondant en 2012, son site de rencontre : https://brindamour.fr .

 

Pour en savoir plus :

 

https://www.lamartine.fr/livre/9782263061134-le-chasseur-francais-un-siecle-au-coeur-de-la-vie-des-francais-antoine-berton/


06/05/2024
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