Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Bon anniversaire, Joan Baez, !!!

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La mauvaise conscience de l’Amérique. 

 

Joan Baez vient d’avoir quatre-vingts ans. Il existe plusieurs Joan Baez. L'une est la Madone des années 1960, la chanteuse de folk à la voix cristalline, virginale comme ses tuniques blanches. L'autre est l'icône du « protest song », la vestale des droits de l'homme, la militante qui, à 21 ans, a marché au côté de Martin Luther King, puis s'est battue contre la guerre au Vietnam en se servant de sa guitare sèche comme d'une arme. C’est pour cela qu’elle occupe une place à part dans le mouvement de contre-culture des années soixante aux États-Unis et qu’elle est toujours là pour rappeler à l’Amérique qu’elle n’est pas comme l’image qu’elle souhaiterait donner. 

 

Un genre qui n’est pas limité à l’Amérique. 

 

Le « protest song » (chant de révolte ou de protestation) est d’abord le chant des opprimés. La première chanson du genre qui connut un grand succès en France est la « complainte de Mandrin ». La date de sa composition est inconnue, mais elle est popularisée au XIXe siècle sous la Commune de Paris (1871), puis dans les mouvements de jeunesse des années 1930 et 1940. Plus tard arrivèrent les chansons, qui traduisent le mal être social ou la révolte. C’est ainsi que la Commune de Paris donna naissance à « l’Internationale » en 1871 et conféra une résonnance particulière aux « Temps des Cerises », pourtant composée quelques années auparavant. Dans le même registre, on peut citer le « Chants des Canuts » (voir : Marc Ogeret : https://www.youtube.com/watch?v=TRpz3Yu_Vvo), dont la version, connue actuellement, a été écrite et interprétée par Aristide Bruant à l’exposition universelle de Lyon en 1897. Comme un peu de chauvinisme stéphanois ne fait pas de mal, on peut évoquer la chanson écrite par Remy Doutre (limeur à la Manufacture d’armes) à la mémoire des victimes de la fusillade du brûlé en 1869[1]. Nos amis italiens, ne sont pas en reste avec « Bella Ciao ». Ce chant des résistants a été écrit en 1944 sur la musique d'une chanson populaire que chantaient au début du XXe siècle les mondine, ces saisonnières qui désherbaient les rizières de la plaine du Pô et repiquaient le riz, pour dénoncer leurs conditions de travail (voir :  https://www.youtube.com/watch?v=6CW6l-A1rnk ) Ce chant est devenu un hymne à la résistance dans le monde entier. Tous ces chants auraient trouvé facilement leur place dans le répertoire de Joan Baez. 

 

L’Amérique : un terreau fertile pour le « protest song ».

 

La tradition des chansons de protestation aux États-Unis est longue et remonte au 18e siècle, à la guerre d'indépendance américaine et à ses conséquences. Au 19ème siècle, les sujets d'actualité pour la protestation dans la chanson ne manquent pas : l'abolition de l'esclavage, la pauvreté et la guerre civile etc.. Au XXe siècle, les libertés, les droits civils, les droits des femmes, l'injustice économique, la politique et la guerre nourrissent l’inspiration des auteurs. 

 

Au XIXème siècle : Esclavage et pauvreté.

 

Les premières chansons de protestation américaines ont été conçues dans un but : rassembler les gens autour d'une mission centrale. Fondés sur des vers et des refrains simples, les airs étaient souvent tirés d'hymnes ou refaits à partir de chansons que les gens connaissaient déjà, avec des paroles souvent écrites comme des appels et des réponses faciles à apprendre. Ces chansons parlaient moins de beauté et de finesse que d'utilité et de but. La plupart des premières chansons de protestation largement connues aux États-Unis provenait d'esclaves, principalement dérivée d'hymnes avec des thèmes de liberté ou d'évasion. La guerre d’indépendance puis celle sécession ont aussi apporté leur pierre à l’édifice. La condamnation à mort de John Brown en 1859 en raison de ses appels à l’insurrection contre les esclavagistes fit de lui un héros au moment de la guerre de sécession. La chanson écrite à sa gloire en 1861 devint l’hymne des abolitionnistes. «Le corps de John Brown est en train de se moisir dans la tombe / Son âme continue de marcher»,répètent les paroles, tandis qu'un verset ultérieur appelle à suspendre Jefferson Davis, le chef de la Confédération, à un pommier. Ces paroles caractérisent les chansons de protestation de l’époque : elles sont simples et répétitives, et donc faciles à apprendre et à partager avec les autres, ce qui a contribué à faire de la chanson une sorte d’hymne de l'Union. Après quelques remaniements, elle devenue est « The Battle Hymn of the Republic » (voir Joan Baez https://www.youtube.com/watch?v=YHforl6vnco).

 

Première moitié du XXème : Luttes des classes, luttes raciales et grande guerre.

 

A l’aube du XXème siècle, l’Amérique est sortie de la guerre de sécession, et l’esclavage est aboli mais cela n’a pas adouci les tensions raciales ni la condition des prolétaires fraichement émigrés. La grande majorité de la musique de protestation américaine de la première moitié du XXe siècle était basée sur la lutte pour des salaires et des heures de travail équitables pour la classe ouvrière, et sur la tentative de syndicaliser la main-d'œuvre américaine à ces fins. L’une des figures de proue du « protest song », de cette période, est Joe Hill,membre du syndicat américain IWW (Industrial Workers of the World) et auteur de quelques textes de chansons. Exécuté pour meurtre après un procès controversé, il est devenu une figure des luttes sociales (voir : Joan Baez https://www.youtube.com/watch?v=_f2J4ceCikI ). Si le « protest song » a suivi les évolutions sociologiques de l’Amérique, il a suivi aussi les évolutions techniques. L’enregistrement de la musique fait un bond significatif dans les années 30. L’arrivée du disque et des radios permettait aux chansons de s’échapper de la tradition de la transmission orale. Le « protest song » a emboîté le pas, avec des airs et des paroles plus complexes que les chansons simples et faciles à apprendre de l'époque de la guerre civile. La chanson emblématique de ce moment est « Strange Fruit » de Billie Holiday. (voir https://www.youtube.com/watch?v=wHGAMjwr_j8)

La chanteuse qui, en ce printemps 1939, a tout juste vingt-quatre ans, dompte son souffle, impose son rythme, dévoile les images de la terrible scène de lynchage sans forcer le trait. L'émotion est nue. La chanson semble taillée pour elle.

Contrairement aux chansons de protestation de l'époque de la guerre civile, «Strange Fruit » n'était pas un chant ou un appel aux armes. C'était un commentaire déchirant sur l'état du pays.

 

L’apogée « protest song »(années 60). 

 

La musique de protestation populaire est devenue le courant dominant lorsque le folk contemporain a commencé à envahir les radios dans les années 1940, après la Seconde Guerre mondiale. Elle a continué de dominer la scène musicale dans la turbulente fin des années 1960 et le début des années 1970. Un homme incarne la musique de ces années d’après-guerre : Woddy Guthrie.  Influencé par Joe Hill, il compose des chansons exprimant les luttes des pauvres et des opprimés, tout en célébrant leur esprit de résistance libertaire indomptable. Figure emblématique des hobos (« vagabond » produits par la Grande Dépression), il devient un important porte-parole musical des sentiments ouvriers et populaires. Son folklore protestataire a exercé une influence majeure sur tous les futurs « protest singers », comme Pete Seeger avec qui il fonde, au début des années 1940, l'éphémère mais influent groupe « Almanac Singers » et avec lequel il participe plus tard fréquemment à des Hootenanny[2]. Bob Dylan (qui dès son arrivée à New-York lui rend visite à l'hôpital où il termine sa vie)  lui consacre une chanson dans son premier disque (voir  https://www.youtube.com/watch?v=bphP7Hh). Dans les années 60, à l’apogée du « folk » et du « protest song » deux monstres vont dominer le paysage : Bob Dylan et Joan Baez. Joan Baez rencontre Bob Dylan en 1961 au Gerde's Folk City, dans le quartier de Greenwich Village à New York. Elle n'est pas impressionnée par Dylan et son air de « Hillbilly[3] urbain », mais cependant fortement intéressée par l'une de ses compositions, « Song to Woody », et souhaite l'enregistrer. Une relation amoureuse connaissant des hauts et des bas se noue entre les deux artistes. En 1963, la chanteuse invite Dylan à chanter avec elle au Newport Folk Festival. Le duo interprète une composition de Dylan : « With God on Our Side ». C'est le début d'un duo qui se produira sur scène,avec de longues interruptions, jusqu'au milieu des années 1970 lors de la Rolling Thunder Revue. Si au début c'est Joan Baez qui invite Bob Dylan à interpréter ses propres compositions, les rôles s'inversent rapidement. Avant sa rencontre avec Bob Dylan, Joan Baez reprenait un répertoire « folk » traditionnel ou des chansons engagées connues, telles que « Last Night I Had the Strangest Dream »  ou « We Shall Overcome ». Pendant la tournée de Dylan au Royaume-Uni, leur relation se délite. Le film documentaire Dont Look Back de D. A. Pennebaker, sorti au cinéma en 1967, relate cette tournée et la fin de la relation amoureuse entre les deux artistes. Malgré leur séparation, ils reprendront ultérieurement leur collaboration. Joan Baez suit ainsi Dylan pendant sa tournée Rolling Thunder Revue en 1975-76. Elle tient aussi un rôle dans le film Renaldo and Clara dirigé par Dylan.  Dylan et Baez collaborent une dernière fois durant l'été 1984, alors qu'ils effectuent une tournée conjointe en Europe à laquelle participe également Carlos Santana. Ils chantent en duo à quelques reprises, mais la relation entre les deux est difficile. C'est pourquoi, après une dizaine de spectacles, Baez décide de quitter la tournée qui se poursuivra sans elle. En février 2010, Dylan et Baez participent à un concert organisé à la Maison-Blanche pour commémorer la lutte des années 1960 en faveur des droits civiques. Ils ne chanteront cependant pas ensemble.

Tous deux ont suivi des chemins différents. Dès 1965, Bob Dylan prend ses distances avec le « protest song ». Lors de l’enregistrement de l’album « My back pages » , Dylan confie à Nat Hentoff, journaliste au New Yorker : « Il n'y aura pas de chanson protestataire dans cet album. Ces chansons, je les avais faites parce que je ne voyais personne faire ce genre de choses. Maintenant beaucoup de gens font des chansons de protestation, pointant du doigt ce qui ne va pas. Je ne veux plus écrire pour les gens, être un porte-parole. […] Je veux que mes textes viennent de l'intérieur de moi-même. ». Même si ses styles musicaux ont évolué, flirtant parfois avec la pop, Joan Baez conçoit l'album « Diamonds and Rust » en 1975. C'est le plus grand succès commercial de Joan Baez. Le titre principal « Diamonds and Rust », qui s’adresse à Bob Dylan et scelle leur séparation définitive, atteint le top 10 des singles. Par-delà la chanson, elle n’a jamais cessé ses combats pour les droits de l’homme, l’abolition de la peine de mort. A titre personnel, j’ai vu sur scène, séparément les deux. Avec Bob Dylan, j’avais l’impression de voir Dieu qui condescendait à venir sur terre. Avec Joan Baez, j’ai eu l’impression de passer la soirée avec une vieille copine.

 

 

Parler musique, c’est bien, en écouter c’est mieux…

 

Le duo mythique

 

https://www.youtube.com/watch?v=dG9OtzvX0_8

 

La chanteuse folk 

 

https://www.youtube.com/watch?v=JepRJ-qSGM8

 

La chanteuse de « protest song ». 

 

https://www.youtube.com/watch?v=n8xJ43QtfSY

 

Pour en savoir plus :

 

https://www.lexpress.fr/culture/musique/joan-baez-puritaine-engagee-et-diva-capricieuse_482505.html

 

Cliquez  ici pour télécharger l'article.

Protest-song.pdf



[1] La fusillade du Brûlé eut lieu le 16 juin 1869 au lieu-dit « le Brûlé » à La Ricamarie près de Saint-Étienne. Elle fit quatorze victimes. 

 

[2] La Hootenanny est un rassemblement de musiciens folk de caractère festif aux États-Unis.

[3]  Hillbilly est un stéréotype sociologique appliqué originellement à certains habitants américains des Appalaches, pour nous une sorte de pequenaud. 



12/01/2021
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