Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Han van Meegeren : l’homme qui dupa Goering.

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Le 17 mai 1945, à peine neuf jours après la capitulation de l’Allemagne, un régiment allié prend possession d’un objectif prioritaire, une… mine de sel autrichienne. Les galeries renferment effectivement de quoi mettre l’eau à la bouche : le Maréchal Goering y a fait cacher sa collection privée, plus de six mille œuvres d’art pillées aux quatre coins de l’Europe. Sans cet épisode guerrier, la renommée de Han van Meegeren n’aurait sans doute pas dépassé celle d’un peintre jugé médiocre par la critique. 

 

Un peintre contrarié. 

 

Né à la fin du XIXe siècle aux Pays-Bas, Han Van Meegeren développe une âme d'artiste dès l'enfance, au grand dam de son père autoritaire et conservateur. En cachette, il parvient malgré tout à s'inscrire aux Beaux-Arts. La qualité de son coup de pinceau lui permet de percer et d'envisager une carrière honorable. Ses débuts en 1913 attirent l'attention. Il reçoit même la médaille d'or du prix quinquennal de la Technische Hogeschool de Delft. Soutenu par sa femme, il organise sa première exposition personnelle à La Haye en 1917 où toutes ses toiles sont vendues. Meegeren rencontre et s'éprend à cette occasion de la femme du critique Karel Hendrik De Boer, plus connue sous son nom de théâtre Jo Van Walraven qui avait parlé en bien de son exposition. Il tient une seconde exposition en 1922 qui se révèle cette fois un cuisant échec. Les critiques d'art dénigrent le travail de van Meegeren comme une imitation qui sentait la fatigue, si bien que les galeries et les musées n'achetèrent plus ses peintures. Van Meegeren ne reste pas sans se défendre devant ces attaques et il étrille les critiques d'art dans un article agressif publié par son magazine De Kemphaan. Mais, comme les critiques d'art bien-pensants l'avaient attaqué et brisé sa carrière, il subsiste en restaurant des tableaux anciens, qu'il repeint quelquefois entièrement devant leur état délabré.

 

Une carrière de faussaire. 

 

Plus personne n’achète ses tableaux. Pour se venger de ceux qui viennent de détruire sa carrière, il décide de les ridiculiser. Il s’attèle à la fabrication de faux de peintres célèbres, en particulier Vermeer. Van Meegeren va donc faire des faux. Pas de vulgaires copies d'oeuvres existantes mais des toiles originales censées avoir été peintes par Vermeer et jusqu'ici demeurées secrètes. Il lui faudra quatre ans pour réaliser « le Christ à Emmaüs ». Une longue période mise à profit pour résoudre plusieurs défis : trouver des pigments analogues à ceux utilisés au XVII e siècle et surtout arriver à vieillir artificiellement sa toile de trois siècles. Pour y arriver, il achetait des bois d'époque, vernissait ses toiles et les plaçait dans un four à 100-120 °C pour durcir la peinture puis les enroulait autour d'un bâton pour reproduire des craquelures. Enfin, il remplissait les craquelures d'encre noire pour imiter la poussière qui s'y était accumulée et qui les rendait visibles. Pour parvenir à ces résultats, il expérimente durant 4 ans afin de tromper les investigations scientifiques. De plus, il utilise la technique des pointillés à laquelle Vermeer recourait surtout dans ses dernières œuvres. Sachant que Vermeer avait peint des toiles d'inspiration religieuse durant sa jeunesse, van Meegeren a l'idée de peindre une toile perdue à caractère religieux de Vermeer, « Les Disciples d'Emmaüs ». Van Meegeren présente son tableau en 1937. Il se rend chez un avocat à qui il raconte l'histoire d'une vieille famille hollandaise qui possédait un château où étaient accrochés bon nombre de tableaux. On lui avait confié la vente du tableau moyennant commission. L'avocat confie la toile à Abraham Bredius, expert d'art hollandais, qui déclare après plusieurs jours d'étude, qu'il s'agit d'un authentique Vermeer, peint durant son hypothétique séjour en Italie et dont la production d'alors était considérée perdue. Son avis prédomina, malgré quelques doutes émis notamment par le galeriste Georges Wildenstein. Par la suite, van Meegeren peint six faux Vermeer et deux Pieter de Hooch, reconnus également comme authentiques. La seconde guerre mondiale donne un élan inattendu à la fortune de notre marchand d’art faussaire : par patriotisme de riches Néerlandais refusent que les œuvres d’art hollandaises soient pillées par les Nazis et achètent sans barguigner. La renommée de Han Van Meegeren parvient jusqu’aux oreilles de Göring… Celui-ci lui achète un faux Vermeer, « Le Christ et la parabole de la femme adultère » lui proposant en échange deux cents toiles pillées dans les musées néerlandais !

 

Patriote ou collabo ?

 

Lorsque les alliés découvrent, dans la mine de sel, un Vermeer non répertorié, « Le Christ et la parabole de la femme adultère ». Ils remontent la piste du tableau, qui les mène au banquier nazi Alois Miedl. Celui-ci leur donne le nom du complice. Le 29 mai 1945, la police hollandaise sonne donc à la porte d’un peintre et marchand d’art, Han van Meegeren. Soupçonné d'avoir collaboré avec l'ennemi, il est envoyé en prison. Il risque la peine de mort. L'heure de passer aux aveux a sonné. Pour éviter cette fâcheuse conclusion à sa carrière, Van Meegeren veut prouver qu’il n’est pas un collaborateur et que, au contraire, il a réussi à mystifier le pillard du Reich. Il peint dans sa cellule, devant six témoins, un autre Vermeer tout aussi convaincant que les autres, « Jésus et les docteurs ».

Peut-être un peu moins bon, mais les juges comprennent la pression qui était la sienne en la circonstance. Les experts internationaux confirment ensuite que le tableau vendu à Göring était un faux. La cour de justice d’Amsterdam condamne Han van Meegeren à la peine minimale en cas de faux et tromperie, un an de prison qu’il ne fera jamais. Il est libéré et entame enfin une carrière en son propre nom. Il vend très bien ses toiles en raison de sa notoriété toute nouvelle. Pourtant il reste lucide et déclare : « Mon triomphe comme faussaire, c’était mon échec comme artiste créateur ». Pensée cruelle, pensée profonde… Il ne profitera pas longtemps de sa célébrité. Le dernier jour pour faire appel de la décision de justice, il a une crise cardiaque et meurt un mois après dans un hôpital d’Amsterdam. Han van Meegeren n’a pas révélé quels faux étaient à son actif. Ils étaient si parfaits, si convaincants et si beaux qu’il a fallu attendre les progrès de la science pour déterminer les tableaux qui étaient d’époque. Van Meegeren fut trahi par certains matériaux comme le plomb. On a pu reconnaître certains faux grâce à une technique appelée Datation Pb-210. La céruse utilisée à l’époque de Vermeer contenait du plomb qui venait de gisements locaux des Pays-Bas, et la composition isotopique de celui-ci était différente du plomb importé ensuite d’Australie et d’Amérique. Comment aurait-il pu le savoir ? Les musées et les grands collectionneurs continuent de trembler et la liste des faux de Van Meegeren n’est pas exhaustive…

 

Pour en savoir plus :

 

BRETON Jean-Jacques, Le faux dans l'art. Faussaires de génie, Paris, éd. Hugo & Cie

 

Cliquez ici pour télécharger l'article :

 

Han-van-Meegeren.pdf



09/10/2020
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