Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Infatigable Yvette : prêtresse de l'accordéon

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En 1966, dans sa chanson « Les élucubrations »,Antoine conseillait à Yvette Horner de jouer de la clarinette. Elle ne l’a pas écouté ! Elle a continué à faire courir ses doigts sur le piano à bretelles, réussissant même à « déringardiser » un instrument, qui depuis le début du  siècle dernier, était l’âme des bals musette.  Elle avait fait ses débuts au balajo, ce lieu mythique, dernier témoin du temps où le tout Paris venait s’encanailler à la Bastoche. Petit retour sur l’histoire de ces bals qui furent le résultat d’une rencontre entre Auvergnats, Italiens et le quartier de la Bastille. 

 

Au départ, étaient les Auverpins 

 

Au dix-neuvième siècle, les bals prolifèrent dans tous les quartiers de la Capitale. Citons le Bal du Prado, ouvert en 1810 en face du Palais de Justice dans l’île de la Cité, fréquenté surtout par les étudiants. Ensuite s’ouvrirent le Tivoli d’Hiver, non loin des Halles puis le Bal Mabille aux Champs-Elysées, l’Élysée Montmartre à Montmartre et ceux qui allaient devenir les plus célèbres : Tabarin, Moulin Rouge, Moulin de la Galette… Des bals chics et bals populaires. On changeait de milieu en passant des Champs-Élysées aux bals auvergnats de la rue au Maire, aux bals des “apaches”de la rue des Gravilliers et de la rue des Vertus, la mal nommée ! Mais, c’est surtout à la Bastille qu’ils allaient être les plus nombreux. Ce n’est pas le fruit du hasard, car c’est ici qu’a élu domicile une grande partie de la communauté auvergnate (on entend par Auvergnats tous les immigrés du massif Central) de Paris. Les premiers auvergnats arrivent avec le charbon de Brassac-les-Mines vers le milieu du XVIIèmesiècle après l’ouverture du canal de Briare. Les sapinières passent de la Loire vers la Seine, et de là remontent sur Paris avec leur cargaison. Arrivée à bon port, la sapinière est amarrée sur les quais de la Seine. Dès les marchandises écoulées, la sapinière est démantelée, débitée en planches et vendues comme bois de chauffage ou bois de charpente. Puis, les mariniers rentrent à pied à Brassac-les-Mines, avec l'argent cousu dans la doublure de leur blouse. Une fois rentrés, ils construisent un autre bateau, le chargent de nouveau puis repartent vers Paris. Certains de ces mariniers charbonniers restent et s’installent à Paris. Ils y exercent toutes sortes de métiers parmi les plus durs : ferrailleurs, frotteurs de parquets, laitiers, porteurs d'eau. Peu à peu les Auvergnats trouvent leur voie : celle du petit commerce où leur travail et leur sens de l'économie font merveille. Ils sont majoritairement marchands de vin, ferrailleurs ou cochers. Ils investissent la rue de Lappe, "le village des Auvergnats",idéalement placée entre les ferrailleurs du Marais et les vendeurs de bois du faubourg Saint-Antoine. Certains s’embauchent dans les ateliers d’ébénisterie du faubourg, voire y ouvrent un commerce. Le faubourg Saint-Antoine (comme le quartier du Temple lui aussi fréquenté par les Auvergnats) est exempté de tout règlement corporatif. On y commerce donc librement et cette situation favorise l’implantation d’anciens colporteurs arrivés sans le sou et aspirants commerçants.Dans la première moitié du XIXe siècle, la petite rue de Lappe est surtout consacrée à la ferraille. La plupart des boutiques distribue toutes sortes de métaux, du zinc des bistrots au cuivre des tuyaux en passant par le fer des instruments du travail du bois. Peu à peu, les activités festives prennent le pas sur les bougnats et les ateliers de ferraille.  Si bien que  la rue de Lappe finit par ressembler davantage à une rue d’Aurillac qu’à une rue parisienne ! Naturellement, pour se retrouver ensemble les dimanches, ils fréquentaient ces nombreux bistrots et ces bals dits “des familles”où l’ambiance était très provinciale. Pour danser la bourrée comme “au pays”, il n’y avait qu’un seul instrument de musique : la cabrette, genre de cornemuse (ou musette). Elle se distinguait des autres  car le joueur n’envoyait pas l’air dans le sac en peau de chèvre (cabre en occitan, d’où le nom de cabrette) en soufflant avec sa bouche, mais grâce à un soufflet attaché à la ceinture. On y buvait aussi, parfois sec, et on y cassait la croûte grâce aux cochonnailles et fromages d’Auvergne. En même temps, on écoutait le cabrettaïre de service qui jouait, une grelottière attachée à une cheville pour mieux marquer la cadence. Martin Cayla (1889-1951) se rendit célèbre dans ce quartier dès 1909 puisqu’il avait 20 ans lorsqu’il habita au n°21 de la rue de Lappe et joua de la cabrette dans le passage Thiéré où se trouvait le bal Mouminoux. Au n°13 de la rue de Lappe, prospérait le bal Bouscatel, du nom de son propriétaire Antoine Bouscatel, un remarquable joueur de cabrette né en 1867 au hameau de Cornézière, dans la commune de Lascelle (Cantal), près d’Aurillac. On y venait de tous les quartiers de Paris danser les bourrées, valses, scottish et autres polkas piquées. Mais déjà une autre communauté s’était implantée à la Bastoche : les Italiens.

 

Puis, arrivèrent les Ritals 

 

Apparus sur le pavé de la capitale dans les premières décennies du XIXe siècle comme musiciens de rue, mi-mendiants, mi-exploiteurs d'enfants, les Italiens sont à la fin du siècle les hommes à tout faire de l'âge industriel. Ce sont les derniers des étrangers, ils ont pris le relais des Belges et des Allemands comme journaliers et ouvriers du bâtiment. Les voilà pourtant qui s'unissent à la culture auvergnate pour donner au peuple de Paris sa musique, urbaine, moderne et populaire ! Et on sait que les Auvergnats, eux aussi longtemps véritables forçats de la ville (entre les porteurs d'eau et les charbonniers), font alors figure d'aristocratie provinciale dans la capitale où ils tiennent nombre de cafés, hôtels et bals. Dès que les ouvriers italiens se firent plus nombreux dans l'espace parisien, autour de 1880, on vit s'engager une véritable guerre des bals, avec règlements de compte au couteau entre cabrettetaïres  auvergnats et accordéonistes d'outremonts. Les immigrés italiens, à la recherche d'un complément de ressources, animaient de nombreux bals de quartier, faisant doublement concurrence aux bals tenus par les Auvergnats. Ici, les danses accompagnées par la cabrette restaient fidèles aux traditions rurales (du type bourrée), et l'usage voulait que les musiciens fissent payer chaque tour de danse. Là, les Transalpins se contentaient d'un cachet pour la soirée et l'accordéon, devenu chez eux un instrument populaire dont ils ne cessaient d'explorer les possibilités. Ils proposaient des airs plus modernes, qui se dansaient en couples et rencontraient un succès croissant. Les Auvergnats firent campagne contre les bals mal-famés où se produisaient les concurrents transalpins. Ainsi, dans l’ « l'Auvergnat de Paris », on pouvait lire :

 « Là où l'accordéon et le violon ont remplacé la musette, là où le chahut a remplacé la bourrée, là aussi le franc rire a été remplacé par le couteau.  La population italienne qui grouille par ici fait double tache sur le pavé révolutionnaire. Elle représente la fainéantise et la piété vile et veule».  « Chassez... l'odieux et banal accordéon, cet insinuant prostitué qui nous vient des pifferari », écrivait en écho Jules Vallès. Cette guerre allait, malgré tout, prendre fin car les deux communautés ne se contentaient plus de se côtoyer, petit à petit, elles fusionnaient.

 

Cabrette et accordéon.

 

La guerre prit fin grâce à l’intelligence de deux hommes : Bouscatel et Charles Péguri.  Ce dernier venait de quitter l’atelier de réparations d’accordéons que son père, Félix Péguri, avait installé rue de Flandre, à La Villette. C’était risqué pour lui de se promener avec un accordéon en plein fief auvergnat ! C’est vrai que l’instrument était à l’origine le compagnon des bergers des montagnes d’Italie. Il suivit les émigrants qui se fixèrent presque tous dans la Zone ou à la périphérie de Paris. Seuls ceux-ci jouaient de l’accordéon à l’époque et Félix Péguri ne manquait pas de travail dans son atelier. Son fils Charles, qui travaillait avec lui, cherchait des innovations techniques, ce qui déroutait le père. A la suite d’une dispute, Charles choisit la liberté. Il se rendit chez Bouscatel, lui proposant de l’accompagner à l’accordéon dans son bal. On est en 1904 lorsque Charles pénètre dans le bal Bouscatel. Bousca, prince des cabrettaïres, portant sa blouse légendaire, était sur l’estrade en train de donner à danser. Péguri s’approche et lui demande s’il peut jouer. Bousca reste froid et silencieux. 

                  - C’est que je suis musicien, monsieur Bouscatel. Je joue de l’accordéon.

                  - Bouscatel n’a besoin de personne. L’accordéon qu’est-ce que c’est ?

Sans se démonter Péguri ouvre son instrument et se met à jouer. Dès les premières notes, le visage de Bousca change. Il rejoint Péguri et  voilà, côte à côte, cabrette et accordéon. Le succès est inattendu, les danseurs en redemandent. Il est probable que Bouscatel avait senti depuis longtemps que l’accordéon allait remplacer la cabrette et en bon commerçant, il ne voulait pas laisser filer sa clientèle. Cette intuition donnait le signal de l’envol de la rue de Lappe. Elle se mit à attirer une nouvelle clientèle, pas toujours recommandable. Tout ce que Paris comptait d’accordéonistes avant la première guerre vint jouer rue de Lappe. A la fin de la Première Guerre mondiale le genre évolue.Le foxtrot, venu d’Amérique et des salons mondains, se développe et envahit les bals musette, tout comme, le tango venu d’Amérique du sud. Après s’être développé dans les salons parisiens à partir de 1907, il franchit lui aussi la barrière pour être introduit dans les bals de faubourgs. Les marches deviennent de plus en plus hispanisantes et se dansent en paso doble. La mazurka s’accélère et se danse de manière plus simple en java. La valse aussi s’accélère et devient valse musette. Au retour de la guerre en 45, le genre musette est à son apogée, il incarne la France et la musique populaire. Les accordéonistes célèbres deviennent des stars :  André Verchuren, Aimable, Yvette Horner, Louis Corchia, Maurice Larcange, Bruno Lorenzoni pour les plus connus. C’est toujours  la valse musette qui tient le haut du pavé pour les danseurs. En 1954, le Cha-cha-cha, un dérivé du mambo est introduit dans le répertoire des bals musette. Les marches, polkas, scottisches et autres galops tombent en désuétude pour laisser la place au rock ‘n roll qui devient à la mode. A partir de la fin des années 1960, le genre musette commence à régresser. Les causes en sont plurielles : le développement important du rock ‘n roll, le développement et l’emprise croissante des musiques anglo-saxonnes à la radio, le développement des musiques amplifiées et des synthétiseurs. L'accordéon, vers les années 1980, reprend du "service" par l'attrait des musiques traditionnelles et folkloriques qui l'utilisent (musique bretonne, slave, musique cajun). Quelques chanteurs français comme Renaud (et bien d’autres) le remettent au goût du jour.  Des d'accordéonistes majeurs, se détournant du musette, comme Marc Perrone ou Richard Galliano apparaissent. Des groupes de la scène alternative comme la Mano Negra ou Les Négresses Vertes ne sont pas en reste et en usent abondamment. Comme quoi Yvette, tu as bien fait de ne pas jouer de la clarinette !

 

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 Bibliographie :

 

Claude Dubois- Une histoire du Paris populaire et criminel, La Bastoche- Editions Perrins- Avril 2011



18/06/2018
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