L'affaire de Road Hill House un meurtre énigmatique
Fiche de lecture : L’affaire de Road Hill House
Kate Summerscale : Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2008
L'Affaire de Road Hill House : chronique d'un meurtre énigmatique
La famille Kent est une famille bien sous tout rapport. Le père, sous-inspecteur des manufactures, sa seconde épouse et les enfants du premier et du second lit habitent une maison de style géorgien au-dessus du bourg de Road. Une vie charmante à la campagne qui prend fin le 30 juin 1860 lorsqu’au petit matin, on s’aperçoit que le petit Saville n’est plus dans son lit. Il a disparu. Les recherches s’organisent et on retrouve bientôt le corps de l’enfant, la gorge tranchée et le corps poignardé, baignant dans les latrines. L’atrocité et la violence du meurtre marquent les esprits. Mais ce qui choque encore plus la population et attire rapidement la presse, c’est que beaucoup d’éléments tendent à montrer que le coupable ne peut être qu’un des membres présents dans la maison. Un membre de la famille ? Un des domestiques ? Devant l’ampleur de l’indignation suscitée par le meurtre, le détective Jonathan Whicher de Scotland Yard est dépêché sur place pour mener l’enquête. Les autorités locales avaient déjà arrêté un suspect, Elisabeth Gough, la gouvernante de la famille qui dormait dans la chambre des enfants et qui n’a donné pas donné l’alerte immédiatement lorsqu’elle a constaté l’absence de Saville dans son lit. Selon son témoignage, elle avait supposé que la mère de l’enfant était venue le chercher. La théorie avancée était que l’enfant, se réveillant, avait surpris la gouvernante avec son amant et qu’elle l’avait tué pour le faire taire. Toutes les portes et fenêtres étant fermées de l’intérieur, l’amant supposé ne pouvait être que le père de l’enfant, Samuel Kent. Whicher pourtant n’adhère pas à cette version. Rapidement, un autre coupable s’impose à lui : Constance Kent, fille née du premier mariage de Samuel Kent et âgée de 16 ans. Cette dernière vouait une haine féroce à sa belle-mère et ne supportait pas la différence de traitement entre son frère, William, et les enfants du second mariage. Les témoignages de ses camarades d’école, son attitude et ses connaissances de la maison indiquent qu’elle avait le mobile et l’occasion de perpétrer ce crime atroce. Arrêtée, il espère la voir avouer son crime car il manque au détective la preuve formelle de son crime.
Vie privée, vie publique
Kate Summerscale s'est immergée dans les innombrables archives policières de l'enquête et dans la presse enflammée de l'époque pour retracer les péripéties des investigations et resituer les faits dans un tableau plus vaste et passionnant : l'Angleterre du mitan du XIXe siècle, les mœurs de la société victorienne. Un fait divers ne frappe à ce point les esprits que s'il cristallise les angoisses d'une époque. L'auteur décrypte et souligne ce qui fait de l'affaire de Road Hill House un crime « exemplaire » : il ne touche pas une famille socialement déclassée, mais la nouvelle classe moyenne aisée née de l'industrialisation ; il offre au public l'intimité d'une cellule familiale, dévoilant aux regards plus ou moins voyeurs le linge sale qu'on n'expose pas d'habitude, les turpitudes réelles ou supposées : secrets, hontes, tromperies.
En outre, les spéculations sur les meurtriers présumés rencontrent les théories scientifiques en vogue, dans le sillage de Darwin et de la médecine aliéniste... La presse populaire ne se fait pas prier pour relayer les moindres détails de l'enquête, mais aussi les controverses qui opposent les enquêteurs entre eux. Car l'affaire de Road Hill House voit intervenir un nouveau personnage dans la société et l'imaginaire anglais : le détective. En l'occurrence, le très intuitif Jack Whicher, membre de la nouvelle section d'investigations de Scotland Yard, dépêché par Londres dans le Wilthshire.
Aux sources de la littérature policière.
Outre la minutie implacable avec laquelle il retrace les faits, le livre de Kate Summerscale a l'originalité de mettre en parallèle cette affaire et le roman policier anglais naissant pour montrer combien les romanciers d'alors se sont passionnés pour le personnage de Whicher et pour le secret enfoui dans le passé de la famille Kent, dont l'enfant fut la victime expiatoire. Le drame nourrit Pierre de lune, de Wilkie Collins, considéré comme le roman fondateur de la littérature policière, mais aussi des ouvrages de Dickens, de Mary Elizabeth Braddon, et même Le Tour d'écrou, de James.
Le poète T.S. Eliot soulignait que les fictions policières impeccablement construites de Poe ou de Conan Doyle semblaient des constructions mathématiques presque abstraites, tandis que le ténébreux Pierre de lune, roman à énigme de Collins, lui, relevait de la quête de « l'insaisissable élément humain » - celui que traque et cerne, à sa façon, le rigoureux travail de Kate Summerscale
Quelques mots de l’auteure.
Kate Summerscale est née en 1965. Elle est l’auteur de The Queen of Whale Quay, pour lequel elle a reçu le prix Somerset Maugham. Ce livre a connu un grand succès public et critique et a figuré sur la dernière sélection du prix Whitbread dans la section biographies. Par ailleurs, elle a été membre de jurys de nombreux prix littéraires, parmi lesquels le Booker Prize. Paru en 2008, L’affaire de Road Hill House a connu un grand succès public et critique : pour cet ouvrage, elle a gagné le prix Samuel Johnson dans la catégorie non-fiction, la Galaxy British Book Award et figuré en tête de la liste des best-sellers pendant plusieurs mois.
Ses livres sont écrits sous la forme de « narrative non-fiction », un genre qui romance des événements ayant réellement eu lieu, à la croisée du journalisme et de la littérature. En s’appuyant sur des documents d’archives et des recherches historiques, l’auteure parvient à raconter ces faits réels comme une histoire de fiction. Dans le cas de Kate Summerscale, elle a signé trois ouvrages de ce type : The Queen of Whale Cay, sur l’excentrique Joe Carstairs, L’Affaire de Road Hill House sur le meurtre dans l’Angleterre victorienne du jeune Saville Kent, et La déchéance de Mrs Robinson, sur le divorce scandaleux d’Isabella et Henry Robinson au dix-neuvième siècle.
Son dernier ouvrage, The Wicked Boy, raconte l’histoire d’un matricide par un enfant en 1895, et l’onde de choc que fut le procès qui s’ensuivit pour l’Angleterre puritaine d’alors.
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