Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Le tueur amateur de courtisanes.

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En mars 1887, l'aventurier cosmopolite Henri Pranzini assassine à Paris la courtisane Régine de Montille, sa domestique et la fille de cette dernière. L'enquête fut difficile, marquée par les errements de la police et la concurrence des reporters, mais Pranzini fut finalement arrêté, condamné et exécuté. Voilà donc un « beau crime », épouvantable et retentissant, comme le XIXe siècle les aimait. Edmond Biré, écrivain et critique littéraire, écrivait en avril 1887 : « Le gouvernement de Juillet, à la veille de sa chute, avait eu l’affaire Praslin ; le Second Empire, à la veille de disparaître, avait eu l’affaire Troppmann. L’affaire Pranzini serait-elle destinée, elle aussi, à être une date historique, en même temps qu’un gros procès criminel ? C’est ce que je ne veux pas savoir. Ce que je suis bien obligé de dire, c’est que l’historien qui écrira sur les hommes et les choses de la Troisième République sera peut-être amené à s’occuper du crime de la rue Montaigne. ». Les meurtres qui eurent lieu rue Montaigne en 1887, à la veille de la mi-carême, captivèrent l’opinion publique à travers le monde, comme peu d’autres à l’époque. Leur brutalité surtout fascina.

 

Un triple crime d’une violence remarquable

 

C’est au n°17 de la rue Montaigne qu’habitait Mme Marie Alice Regnault, plus connue sous le nom de Mme de Montille. Âgée de quarante ans, elle était veuve. C’était une femme très distinguée et galante. Elle résidait, depuis environ 5 ans au troisième étage, dans un appartement dont le loyer était de 3600 francs. Mme de Montille était une femme aisée et avait pour femme de chambre une nommée Annette Gremeret qui avait 38 ans. Elle couchait dans l’appartement de Mme de Monti avec sa petite fille âgée de 12 ans prénommée Marie. Mme de Monti avait également une cuisinière : Juliette Toulouze qui elle, vivait au sixième étage. Le 17 mars, cette dernière descend, comme à son habitude à sept heures du matin, de sa chambre de bonne, pour se rendre chez sa maîtresse. Mais après avoir sonné à plusieurs reprises, elle ne reçoit aucune réponse. Elle demande alors au concierge si celui-ci était au courant de quelque chose mais il ne savait rien. La cuisinière remonte afin de tenter à nouveau sa chance mais sans succès. S’inquiétant de plus en plus, elle alerte alors le commissaire de police du quartier : M. Créneau qui est accompagné d’un serrurier : M. Rigaud. C’est à ce moment qu’ils firent une découverte macabre. Le magistrat découvrit trois corps dans des pièces différentes. Dans la cuisine gisait sur le sol Mme Gremeret, la tête presque séparée du corps. Celui de Mme de Monti se trouvait dans sa chambre, elle aussi égorgée. La fille de sa femme de chambre est également retrouvée morte dans sa chambre.

Le rapport d’autopsie montre que la tête de chacune des victimes a pratiquement été séparée du tronc et dit l’extrême violence du crime. La fillette n’a pas été décapitée par un seul coup. L’examen de l’avant-bras montre qu’elle a essayé de se protéger, sans doute dans un réflexe ultime, mais les « sections successives destinées à opérer la décollation ont laissé quatre empreintes sur le poignet », pendant que le meurtrier lui maintenait la tête sur l’oreiller. L’assassinat de l’enfant et la manière dont sa mort est intervenue choquent l’opinion publique. Les deux autres victimes ont connu un sort tout aussi effroyable. «L’une a été précipitée au sol au point que le choc lui ait fracturé une incisive, elle est tombée sur les genoux comme l’attestent les taches brunes correspondant à un enduit appliqué sur le parquet. Elle a ensuite reçu plusieurs coups fatals qui ont entaillé deux vertèbres cervicales, tranché la moelle épinière et coupé les carotides. La troisième, Madame de Montille, a été victime soit d’un seul coup qui lui a découpé l’aisselle droite, puis le cou, larynx et vaisseaux compris, soit, plus vraisemblablement, de deux coups, le second étant mortel.» Le légiste ajoute qu’il s’agit de la même arme tenue par la même main. Sûrement un couteau de boucher. Quant à l’heure du crime, elle est estimée, d’après l’examen de l’estomac et de la vessie, à la fin de la nuit ou au lever du jour. L’ordre des décès est une question plus difficile à résoudre car la mort des victimes n’a pas été instantanée. Mais Madame de Montille semble avoir été frappée la première, au moment où elle sortait du lit. Elle a eu le temps d’alerter sa femme de chambre qui a été saisie par les cheveux et égorgée. L’assassin a alors aperçu la fillette qui s’était réveillée et l’a décapitée.

Le mobile semble être le vol : après avoir tenté de forcer la serrure du coffre-fort, en vain, l'assassin a volé des bijoux de Mme de Montille et 150 000 à 200 000 francs de diamants et de valeurs.

 

Une enquête qui patine 

 

Les interrogations sont nombreuses : s’agissait-il d’un tueur de femmes, d’un maraudeur, d’un amant jaloux ? Paul Brouardel, l’expert judiciaire le plus célèbre de son temps, Guillot, le meilleur juge d’instruction de l’époque et Goron, futur chef de la police judiciaire, se lancent sur les traces du criminel. Le voisinage ne se doute de rien : « pas un instant, je n’ai soupçonné, ni pressenti le drame horrible qui se jouait au-dessus de ma tête», explique une gouvernante qui se trouvait au quatrième, alors que le drame a eu lieu un étage plus bas. Le concierge n’a rien vu ni entendu non plus. Si l’assassin a échappé à sa vigilance, c’est qu’il était familier de l’immeuble.

Le délai de réaction est lent et on prend conscience d’une nécessaire modernisation des équipements de la police judiciaire. La presse critique les lenteurs de la police et son incapacité à être mise au courant d’un crime de sang commis en plein Paris. La rumeur du triple meurtre se répand rapidement et attire une foule de curieux, photographes, journalistes et amis des victimes.

Claudine Régine de Montille était une courtisane mais elle avait toujours gardé une certaine réserve. Elle ne fréquentait pas les maisons de rendez-vous et les clients vulgaires. Elle avait trois amants réguliers et un agenda très précis. Pourtant, elle traversait depuis février une crise sentimentale et morale. Elle était devenue taciturne et se réfugiait dans l’absinthe. Alors qu’elle était si prudente, elle multipliait les occasions de rencontres et les amants d’un soir, ce qui lui avait été reproché par Annette Gremeret, à ses côtés depuis 14 ans : « Madame reçoit des individus qu’elle ne connaît pas, il lui arrivera malheur, elle nous fera assassiner»…

Les soupçons se penchent sur l’amant de Madame de Montille, qui lui avait rendu visite le soir du meurtre et avait dissimulé son visage derrière son col remonté. Il n’était pas redescendu. Avait-il un complice ? Et qu’en est-il du mobile ? Crime passionnel, de vengeance, crapuleux ? Des traces sanglantes sont retrouvées sur le coffre-fort qu’il n’a pas réussi à ouvrir, une tirelire en porcelaine est brisée, un portefeuille maculé de sang et des bijoux ont disparu. Une paire de manchettes d’homme et une petite ceinture portant les inscriptions Gaston Geissler sont trouvées. Cet individu est donc activement recherché.

 

La presse se déchaine. 

 

La presse se saisit de l’affaire. À sa manière, elle concurrence la police, tient les lecteurs en haleine. L’opinion publique s’empare de ce triple meurtre et très vite, une inquiétude s’élève. Plusieurs périodiques alimentent la vague et consacrent, par exemple, un long passage à la photographie publiée du cadavre de la fillette. Les foules se déchaînent et on dit que l’arrestation de l’assassin ne suffira pas et qu’il faudrait le supplicier. Le Figaro, Le Gaulois, Le Petit Parisien, La Gazette des tribunaux, Le Journal illustré, La Lanterne s’emparent de l’affaire. Une suite paraît dans Le Petit Parisien, donnant aux lecteurs l’impression de suivre l’enquête en direct, elle est baptisée « Une heure trente du matin». Le 21 mars, un individu blond sous le nom d’Henri Pranzini avec un accent étranger est arrêté à Marseille. Il aurait vendu des bijoux de grande valeur correspondant à la description faite par la presse. La police est intervenue et a procédé à son arrestation après que ce dernier ait été dénoncé par Mme Aline, gérante de la maison close « Chez Aline » à Marseille. En effet, Pranzini aurait payé les prostituées avec une montre et des pierres précieuses. La gérante voulait simplement éviter d’être accusée de recel. Madame Aline, ayant relevé le numéro (le 112) du cocher nommé Berne qui attendait son client, permet à la police de retrouver Pranzini qui est arrêté le jour même au Grand-Théâtre.

La police fait alors le lien entre Henri Pranzini et le triple assassinat de la rue Montaigne. Mais ses caractéristiques physiques ne correspondent pas au suspect. Peut-être s’agirait-il d’un complice ou d’un receleur ? Son amante, Antoinette Sabatier, est interrogée et prône l’innocence d’Henri, qui a passé la nuit avec elle et qui serait incapable de commettre pareil crime. L’interpellé nie le triple crime de la rue Montaigne. La presse continue de railler l’affaire, en disant que les meilleurs enquêteurs de la police sont en fait des prostituées qui ont donné des éléments indispensables à l’arrestation de Pranzini.

 

La figure mystérieuse d’Henri Pranzini.

 

Pranzini est un Don Juan voleur, accro aux jeux de hasard et désargenté, mais il se justifie en disant qu’il ne l’est pas au point de commettre l’irréparable. Il parle plusieurs langues : anglais, français, italien, grec, turc, arabe, russe et indou. Il se mettra au service des militaires russes, puis de la première puissance coloniale du monde. Il sera aussi interprète dans l’armée anglaise. Il est un personnage mystérieux, séducteur aux multiples conquêtes de femmes du monde. De nombreuses lettres de ses amantes sont retrouvées. Alors que les jours passent et que l'enquête se poursuit, les charges semblent s'accumuler contre Pranzini. Grâce au témoignage du cocher qui l'a vu entrer dans le parc Longchamp avec un paquet dans la main, la police retrouve le reste des bijoux volés jeté dans les fosses d'aisance de ce parc. Sa maîtresse finit par reconnaître qu'il n'est pas resté tout le temps en sa compagnie la nuit où les meurtres sont supposés avoir eu lieu. Pranzini se contente de nier toute implication dans ceux-ci, sans pour autant fournir d'explications claires lorsqu'il est confronté aux indices qui le font suspecter. Interrogatoires, confrontations, reconstitutions, et autre analyse graphologique se succèdent. Le profil anthropométrique de Pranzini est aussi naturellement dressé : l'étude des empreintes digitales étant balbutiante à l'époque, on se contente de comparer la mesure prise de sa main avec une empreinte sanglante trouvée sur le lieu du crime, et le résultat semble concluant. Pendant ce temps, Gessler, le suspect du début, reste introuvable, et continue de planer tel un spectre sur l'affaire mais finalement la police met la main sur Georges Gutentag, vagabond polonais qui voyage sous la fausse identité de Gaston Gessler. Néanmoins, il s'agit d'une fausse piste car il était en prison au moment du triple assassinat. L'enquête remonte alors six ans plus tôt : en 1881, Pranzini travaille à la réception de l'hôtel Caprani à Naples. Ayant volé de l'argent, son supérieur G. Gessler le renvoie. Pour se venger, Pranzini lui vole ses boutons de manchette et sa ceinture qu'il a intentionnellement laissés sur la scène du crime, ce qui signe sa préméditation. 

 

Le procès.

 

Le procès s’ouvre le 9 juillet 1887 et la foule est nombreuse. L’avocat d’Henri Pranzini le défend : son silence ne prouve pas qu’il soit un assassin. Les preuves ne sont pas suffisantes pour lui. Certains éléments peuvent même peser en sa faveur : Madame Sabatier reste persuadée de son innocence. Il était en possession des bijoux provenant de la rue Montaigne mais il n’en était que le receleur. En apprenant leur provenance, il aurait pu s’affoler et tenter de s’en débarrasser. Une accusation de triple meurtre serait exagérée, Henri Pranzini ne pourrait être qu’un voleur accusé à tort. « Prenez garde… la mort s’il est l’assassin… la liberté s’il est innocent ! Mais s’il est voleur, on n’envoie pas les voleurs à l’échafaud !» La démonstration de l’avocat subjugue le public et des applaudissements se font entendre. Pourtant, les jurés délibèrent et il est condamné à mort. Il tente tout de même d’obtenir des recours en grâce mais tous seront refusés. Henri Pranzini est alors guillotiné le 31 août 1887 devant la prison de la grande Roquette par le bourreau Louis Deibler. Un moulage de la tête décapitée d'Henri Pranzini est réalisé afin de permettre aux scientifiques d'étudier les critères physionomiques susceptibles de révéler la personnalité de tels individus. Le succès de la phrénologie à cette époque est tel qu'on recherche en effet la « bosse du crime ». Cette tête en cire colorée et verre soufflé, avec des poils et cheveux humains, est exposée dans une vitrine du musée de la Préfecture de police de Paris.

 

Et après 

 

De nouveaux rapports presse-police ;

 

Il reste tout d’abord, un rapport nouveau entre la presse et la police. Les journaux ne se contentent plus de raconter, parfois ils enquêtent. Cette affaire vit, en effet, un nombre croissant de journalistes abandonner le recours aux bulletins de police et entreprendre en parallèle leurs propres enquêtes criminelles. L’affaire Troppmann en 1869, et les « enquêtes balbutiantes » des quotidiens, avaient marqué les prémices de cette transformation ; la libéralisation de la presse après 1881 ne fit que renforcer cette tendance. 

 

Un nouvel archétype criminel.

 

En septembre 1887, un fin limier, reporter au Figaro, révèle au Tout-Paris que de hauts responsables de la police sont en possession de porte-cartes fabriqués avec de la peau humaine. Il s’avère que cette peau a été prélevée sur le cadavre d’Henri Pranzini. Le scandale qui suit dévoile les chassés-croisés entre l’imagination coloniale française et le « discours sécuritaire » très répandu à Paris à la fin du XIXe siècle. À ce moment clef de l’histoire de l’expansionnisme républicain, les théories s’affrontent à propos de ce vétéran des guerres impériales. Mais, malgré leur rivalité, médecins, critiques sociaux, inspecteurs de police, journalistes reviennent sans cesse aux catégories raciales de « Levantin » et de « rastaquouère ». De ces enquêtes, allait émerger un nouvel archétype criminel, celui de l’anti-héros colonial protéiforme, toujours prêt à menacer la métropole. L’affaire Pranzini révèle jusqu’où l’immigration en provenance des colonies a nourri les arguments des partisans d’un contrôle de l’immigration au moment où le projet colonial républicain prenait son essor. Pourtant, l’insécurité impériale était autant nourrie par les anti-héros du fait divers que par l’élite des criminels coloniaux qui faisait, elle aussi, la une des journaux. Les « panamistes » étaient les plus tristement célèbres ; ils donnèrent du crédit à l’expression, « affairisme colonial », avec ses connotations de corruption et d’impunité. Aucun observateur du temps ne vit mieux qu’Émile Zola le lien entre le criminel colonial de troisième ordre et le voyou de la finance coloniale. Dans L’Argent, écrit dans les mois qui suivirent l’affaire Pranzini et fondé sur des événements du début de la décennie 1880, la filouterie financière et l’immigration coloniale sont tissées subtilement dans le personnage de Sabatini que le banquier Saccard utilise comme « homme de paille ».

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2014-2-page-87.htm

 

https://journals.openedition.org/criminocorpus/8298

 

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Le-tueur-amateur-de-courtisanes.pdf

 

 

 



17/04/2023
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