Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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L’époque des zoos humains : un temps pas si lointain.

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Un parc animalier où l'on trouve des humains, vivant à la vue de tous tels des animaux… Vous n'y croyez pas ? Cette époque n'est pourtant pas si lointaine. Nous sommes en 1987. La biscuiterie Saint Michel décide de se diversifier et lance un biscuit au chocolat nommé « Bamboula ». Son personnage, une caricature de « sauvage africain », vit à Bambouland et devient très vite populaire en France. À un tel point que le propriétaire d'un zoo « Safari-Africain » en Loire-Atlantique, Dany Laurent, propose à la biscuiterie de s'associer et de créer un vrai village africain, avec ses villageois. Vingt -cinq hommes, femmes et enfants artistes sont amenés de Côte d'Ivoire, direction le flambant « Bambouland». La journée, ils divertissent un public (blanc) curieux, les femmes notamment chantent et dansent seins nus, peu importe la météo. Tous les « villageois » s'exposent au regard inquisiteur des badauds, soucieux de voir la différence, scruter le particulier. À la fermeture du parc, tandis que les employés rentrent chez eux, les Ivoiriens, eux, tout comme les animaux du zoo, dorment dans le parc, sans jamais en sortir. Après maints recours, la justice constate enfin les manquements relatifs aux droits humains. Il est toutefois trop tard : hommes, femmes et enfants ont été renvoyés en Côte d'Ivoire. Le propriétaire du parc, quant à lui, sera condamné pour atteinte à la dignité humaine. A priori, on pourrait se dire, que cette affaire relève du droit commun, que c’est une invention de gens peu regardant sur la manière de gagner de l’argent. Pourtant à y regarder de près, elle ne fait que s’inscrire dans la longue tradition française du zoo humain. 

 

Une si longue tradition. 

 

Le phénomène de spectacle commence à se développer dans les cours européennes avec les Grandes découvertes. Christophe Colomb ramène en 1492 six Indiens qu’il présente à la cour d’Espagne. En 1550, des Indiens Tupinamba défilent à Rouen devant Henri II. En 1644 des Groenlandais sont enlevés pour être exposés au roi Frédéric III de Danemark. Des ambassadeurs siamois sont présentés comme un spectacle exotique sous Louis XIV en 1686, comme le Tahitien Omai à la cour d’Angleterre en 1774.

À partir du XIXème siècle, ces exhibitions ne sont plus réservées aux élites et se démocratisent, devenant extrêmement populaires, sur le modèle des grands spectacles de foire, avec notamment le développement d'attractions calquées sur le plan de la scénographie, sur celles du zoo itinérant des cirques Barnum.

Paris, année 1889. La capitale des lumières célèbre 100 ans de liberté, d’égalité et de fraternité. Outre la tour Eiffel, flambant neuve, l’attraction principale offerte aux 28 millions de visiteurs de l’Exposition universelle est le « village nègre » et ses 400 Africains, exhibés sur l’esplanade des Invalides, au milieu des pavillons coloniaux. Depuis une dizaine d’années, ces villages indigènes sont présents dans la plupart des grandes expositions, et ils le seront encore régulièrement durant une bonne partie du XXe siècle. Ces exhibitions n’apparaissent pas brutalement à la fin du XIXe siècle ; elles arrivent à la suite d’une longue tradition.

Hambourg, Londres, Bruxelles, Chicago, Genève, Barcelone, Osaka… Toutes les grandes villes qui accèdent à la modernité exposent dans des zoos humains ceux qu’ils considèrent comme des sauvages. Sénégalais, Nubiens, Dahoméens, Égyptiens, Lapons, Amérindiens, Coréens et autres peuples dits exotiques sont ainsi présentés dans un environnement évoquant leurs contrées, souvent dans des costumes de pacotille et aux côtés de bêtes sauvages. À Bruxelles, en 1897, on peut lire sur un panneau : « Ne pas donner à manger aux Congolais, ils sont nourris. » Plus d’un milliard de visiteurs se seraient pressés pour voir ce type d’exhibitions entre 1870 et 1940. Le directeur du jardin d’acclimatation décide d’organiser, en 1877, deux « spectacles ethnologiques », en présentant des Nubiens et des Esquimaux aux Parisiens. Le succès est foudroyant. La fréquentation du Jardin double et atteint, cette année là, le million d’entrées payantes... Les Parisiens accourent pour découvrir ce que la grande presse qualifie alors de « bande d’animaux exotiques, accompagnés par des individus non moins singuliers ». Entre 1877 et 1912, une trentaine d’ « exhibitions ethnologiques » de ce type seront ainsi produites au Jardin zoologique d’acclimatation, à Paris, avec un constant succès.

De nombreux autres lieux vont rapidement présenter de tels « spectacles » ou les adapter à des fins plus « politiques ». Par exemple, les Expositions universelles parisiennes de 1878, de 1889 ; un « village nègre » et 400 figurants « indigènes » en constituaient l’une des attractions majeures ; celle de 1900, avec ses 50 millions de visiteurs et le célèbre Diorama « vivant » sur Madagascar, ou, plus tard, les Expositions coloniales, à Marseille en 1906 et 1922, mais aussi à Paris en 1907 et 1931.

Des établissements se spécialisent dans le « ludique », comme les représentations programmées au Champ-de-Mars, aux Folies-Bergère ou à Magic City et dans la reconstitution coloniale, avec, par exemple, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, la représentation de la défaite des Dahoméens de Behanzin devant l’armée française...

Pour répondre à une demande plus « commerciale » et à l’appel de la province, les foires et expositions régionales deviennent très vite les lieux de promotion par excellence de ces exhibitions. C’est dans cette dynamique que se structurent, très rapidement, les « troupes » itinérantes, passant d’une exposition à une foire régionale, et que se popularisent les célèbres « villages noirs » (ou « villages sénégalais »), comme lors de l’exposition de Lyon en 1894. Il n’est dès lors pas une ville, pas une exposition et pas un Français qui ne découvre, à l’occasion d’un après-midi ensoleillé, une reconstitution « à l’identique » de ces contrées sauvages, peuplées d’hommes et d’animaux exotiques, entre un concours agricole, la messe dominicale et la promenade sur le lac.

 

De l’exotisme au racisme.

 

Bien avant la grande expansion coloniale de la IIIe République des années 1870-1910, qui s’achève par le tracé définitif des frontières de l’Empire outre-mer, s’affirme, en métropole, une passion pour l’exotisme et, en même temps, se construit un discours sur les « races » dites inférieures au croisement de plusieurs sciences. Les colonies jouent un rôle dans l’avènement des zoos humains selon l'historien Pascal Blanchard, « Si les États choisissent d’intégrer ces exhibitions dans leurs grandes expositions, financent le voyage de milliers d’hommes et de femmes et délivrent des autorisations, ce n’est pas un hasard. Cela sert la politique qui vise à convaincre que la colonisation, dont l’entreprise explose dans les années 1860-1880, est légitime ».  En somme, si l’on propage l’idée que le sauvage existe, la population sera toute disposée à soutenir la course aux empires coloniaux, que ce soit sur le mode pseudo-angélique de l’apport du progrès et de la mission civilisatrice ou bien celui de l’exploitation pure et simple. Il est vrai que les différentes troupes exhibées suivent de près l’actualité coloniale de chaque pays : pendant que la France défait le roi du Dahomey en 1893, ses guerrières amazones sont montrées au champ de Mars tandis que, en 1903, le Japon présente des Coréens, prétendument cannibales, avant de coloniser le pays en 1910. Les êtres humains exhibés fascinent car ils sont présentés comme étant sauvages, anormaux, extraordinaires, comme ayant des difformités, voire des coutumes comme le cannibalisme que l'on prête à certains. Les individus exhibés sont présentés comme des sous-hommes, voire comme des animaux. On les transporte d’exposition en exposition dans des wagons à bestiaux, comme des marchandises, sur lesquelles sont d'ailleurs prélevées des taxes au passage des frontières. Les zoos humains sont un moyen de démontrer la prétendue supériorité de la civilisation occidentale. Plus complexe encore se pose la question de l’influence de ces zoos humains sur la fabrique du racisme populaire et de ses préjugés. Selon Gilles Boëtsch et Pascal Blanchard, le lien est direct : « Les spectacles anthropozoologiques ont été le vecteur essentiel du passage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé, expliquent-ils. Pour les visiteurs, voir des populations derrière des barreaux, réels ou symboliques, suffit à expliquer la hiérarchie : on comprend tout de suite où sont censés se situer le pouvoir et le savoir. » Selon les deux chercheurs, les thèses sur les races étaient encore, à cette période, largement inconnues du grand public, parce qu’il ne lit pas ou peu les travaux d’anthropologie, et que la vulgarisation scientifique est quasiment inexistante, même si la littérature grand public en popularise les poncifs. Ce serait donc les exhibitions, divertissements de masse, qui auraient contribué à diffuser un racisme populaire, avec l’appui de la photographie, média qui explose à cette époque et propose de nombreuses cartes postales au dos desquelles on imprime souvent une fausse ethnographie à dimension pédagogique, au gré des exhibitions du moment.

 

Le déclin des zoos humains. 

 

Les zoos humains s’étalent sur une période d’un peu plus de cinquante ans. Néanmoins, en 1931-1932, on constate une rupture majeure en à peine deux ans. En effet, depuis les années 1920, le public se lasse de ces exhibitions et les autorités publiques souhaitent renouveler la forme de celles-ci. L'essor du cinéma ringardise les zoos humains.

De plus, dans l'entre-deux-guerres, l’Occident veut montrer qu’il a éduqué les colonisés et qu'il a significativement amélioré les conditions de vies dans les colonies (routes, écoles, domaine de la santé, etc.). Ainsi, à la fin des années 1920, les zoos humains commencent à faire tache car ils incarnent l’échec de la mission civilisatrice, ils finissent donc par être interdits par l’administration coloniale. Hubert Lyautey impose ainsi la fin de toute exhibition à caractère racial (à l’instar de l’exhibition des Négresses à plateaux) dans le cadre de l'Exposition coloniale internationale de Paris en 1931. Malgré tout un public reste avide de ce type d’expositions pleines de stéréotypes humiliants et dégradants pour les populations noires. En 1931 une troupe de Kanaks est recrutée par des imprésarios mal intentionnés qui bernent les Mélanésiens et les obligent à jouer les cannibales au Jardin d’Acclimatation de Paris. De plus, le regard basé sur l’inégalité entre les populations perdure au travers de nouveaux procédés (le cinéma, le théâtre, la photographie, etc.).

Parmi les dernières tournées à caractère ethnographiques, présentant des « villages noirs » ou autres populations exotiques, on peut citer les deux dernières présentations d’Hagenbeck (la troupe de Canaques en 1931 et la troupe Tcherkesse l’année suivante), ou encore les expositions de Bâle, de Stockholm, de Kölen, de Milan ou enfin l’exhibition des « Négresses à plateau Sara-Kaba » de Cologne. 

 

Une longue tradition d’exhibitions

 

  • Égypte antique : on expose des nains originaires du Soudan.
  • Fin du XVe siècle : des Indiens, spécimens vivants ramenés du Nouveau Monde, font l’étonnement des cours royales d’Europe.
  • 1654 : on présente des Esquimaux au roi de Suède.
  • 1774 : James Cook revient en Angleterre accompagné du Tahitien Omaï, dit le Bon Sauvage, qui inspire une pièce de théâtre.
  • 1810 : Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », est exposée dans une cage à Londres. Elle devient ensuite un phénomène de foire à Paris où elle meurt en 1815.
  • Années 1820 : Londres voit défiler des spectacles d’Indiens, de Lapons et d’Esquimaux, aux côtés des « freaks show » (« spectacles de monstres »), de leurs lilliputiens, femmes à barbe et hommes-troncs. La rencontre avec l’Autre, l’étrange étranger, devient un véritable show pour les sociétés modernes.
  • 1853 : une troupe de Zoulous inaugure une grande tournée en Europe.
  • 1874 : l’Allemand Carl Hagenbeck, influencé par les cirques et les « ethnic shows » de l’Américain Barnum, est le premier à mélanger les deux types de spectacle en exhibant à Hambourg une famille de six Lapons accompagnés d’une trentaine de rennes.
  • 1877 : Hagenbeck expose une troupe de Nubiens au Jardin zoologique d’acclimatation, en mal de nouvelles attractions depuis que les Parisiens ont dévoré tous les animaux du zoo pendant le siège de 1870.

 

 

Pour en savoir plus :

 

https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2000_num_1228_1_3597

 

 



30/08/2022
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