Pétrus Faure, Benoit Frachon : deux gars de l’Ondaine
Ils sont nés à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, tous deux à la Ricamarie (département de la Loire). Pétrus voit le jour le 11 octobre 1891. Benoit ne le suit pas de loin, il pousse son premier cri le 13 mai 1893. Sans doute ont-ils partagé leurs jeux de gamins ! Mais, ils sont arrivés à une époque et dans une région, où la vie ne laisse guère d’espace entre l’enfance et l’âge adulte. Pétrus, « intelligent » et doté d’une « excellente mémoire », doit interrompre ses études dès l’âge de onze ans. Trop jeune pour être ouvrier, il est « loué » comme berger à un paysan de Saint-Victor-sur-Loire (Loire). À treize ans, il entre dans une usine de limes du Chambon-Feugerolles comme apprenti métallurgiste. À seize ou dix-sept ans, il quitte l’usine et va rejoindre son père aux mines de Montrambert. Comme ses frères et sœurs, Benoît Frachon reçoit une éducation religieuse, mais il fréquente l’école publique. Il entra au Cours supérieur de l’école du Chambon-Feugerolles, mais, après avoir échoué au concours des bourses, il abandonne les études deux ans plus tard. A treize ans, il devient apprenti chez un petit patron, ancien ouvrier métallurgiste il acquiert les bases du métier et peut se faire embaucher après la mort de son père dans une boulonnerie, où il devint tourneur grâce à l’aide de l’outilleur avec lequel il travaillait. Dans les années 1910, ils font cause commune. La vallée de l’Ondaine est le théâtre de violents affrontements sociaux. Ils appartiennent alors à un petit groupe libertaire créé en 1909 par des mineurs et des ouvriers métallurgistes. Ils diffusaient La Guerre sociale, l’hebdomadaire de Gustave Hervé, lisaient La « Vie ouvrière » de Pierre Monatte, participaient à quelques manifestations d’ « action directe » comme le sabotage de lignes télégraphiques et téléphoniques.
La grande guerre : une séparation provisoire.
Pétrus Faure, enrôlé au 23e RI, déserte au bout de quelques semaines. Il mène, de 1912 à la guerre, sous un faux nom, la vie errante d’un compagnon anarchiste, véritable « tour de France » qui le conduit successivement à Genève, Maubeuge, Paris, Orléans, Lyon, de nouveau Genève, Vevey, Fribourg, Annecy, Grenoble, Paris, Melun, Tonnerre enfin.
Le 2 août 1914, il se livre aux autorités militaires. Il subit quatre mois de prison et reprend sa place dans son régiment. Envoyé au front, il est blessé, puis mobilisé à Givors (Rhône), aux usines Prénat. En 1918, il repart au front, et est grièvement blessé. Il est décoré de la Croix de guerre et de la Médaille militaire. De son côté, Benoit, affecté dans le service auxiliaire à cause de sa forte myopie, se trouvait au magasin d’habillement du 30e régiment d’artillerie à Orléans lorsque la guerre éclata. Réintégré alors dans le service actif, il fut mobilisé comme ouvrier à l’Arsenal de la Marine de Guérigny dans la Nièvre : sa qualification professionnelle lui évita ainsi le front.
La paix les rapproche, puis les éloigne.
Les années 1919-1920 sont marquées par d’importants mouvements sociaux. Les prix flambent et les salaires sont à la traine. De plus, le mouvement syndical est traversé par la rivalité entre « anarcho-syndicalistes » et les partisans d’un syndicalisme lié au parti communiste qui a vu le jour au congrès de Tours. Malgré son lourd passé d’anarchiste, Pétrus Faure est embauché, comme mouleur, aux usines Leflaive à la Chaléassière. Mais son ami Benoit n’est jamais très loin. Tous deux animent le conseil syndical de la métallurgie qui rallie la CGTU. Ce ralliement permet de battre la direction « anarcho-syndicalistes » de l’Union départementale et à Benoît Frachon d’en devenir le secrétaire permanent. Ils sont arrêtés tous deux en 1924 et condamnés à quatre mois de prison. En 1921, Petrus Faure épouse Louise de Lemps, une institutrice avec pour témoin, Benoit Frachon.
Pétrus Faure et Benoit Frachon ont suivi pendant vingt ans un chemin commun. Dès le milieu des années vingt, se dessinent deux trajectoires de vie qui vont les conduire à deux destins différents sinon opposés.
Pétrus Faure reste l’homme de l’Ondaine
Dès la sortie de la guerre, Pétrus Faure s’engage dans la vie politique locale. Il est élu maire du Chambon-Feugerolles dès sa sortie de prison en 1925. C’était le début d’une œuvre municipale de longue haleine, puisque le nouveau maire allait occuper son siège sans interruption, à l’exception d’une brève parenthèse sous le régime de Vichy et au lendemain de la Libération, de 1925 à 1973. Pétrus Faure inaugura en particulier une politique de grands travaux qui devait transformer la morne agglomération ouvrière : c’était, entre les deux guerres, « une des rares cités où l’on construisait des habitations, des écoles, des marchés publics, et où on installait parc et terrain de sports », rappelait-il, non sans fierté, dans « Un témoin raconte ». Candidat communiste de la 4e circonscription de Saint-Étienne aux élections législatives de 1928, Pétrus Faure fut battu au deuxième tour par le réactionnaire Taurines qui l’emporta de justesse par 11 593 voix contre 11 129. Le candidat du Parti Communiste eut sa revanche aux élections cantonales du 14 octobre 1928 où il retrouva sans peine son siège de conseiller d’arrondissement. La grève générale du 1er août 1929, déclenchée à l’instigation de la IIIe Internationale dans le cadre d’une Journée internationale contre la guerre, fut l’occasion de sa rupture avec le Parti. Pétrus Faure participe, en 1931, à la création du Parti d’Unité Prolétarienne (PUP) dont les dirigeants, dans la Loire, sont presque tous des élus locaux. Il reste membre du PUP jusqu’à sa fusion avec la SFIO en 1938.
Pétrus Faure est élu sous l’étiquette PUP, conseiller général du Chambon-Feugerolles, au premier tour des élections cantonales de 1931. Il est réélu jusqu’en 1973, à l’exception de la période 1940-1952. Il devient alors le doyen d’âge et d’ancienneté.
Il est élu député de la 4e circonscription de Saint-Étienne, dès le premier tour des élections de 1932 et réélu en 1936, toujours sous l’étiquette PUP. Élu vice-président de la commission des mines, Faure dirige, en 1936, une commission d’enquête sur les mesures d’hygiène et de sécurité dans les mines de France et d’Afrique du Nord. Il est à l’origine de la création du fonds national de chômage et de l’officialisation de la fête du Travail.
Le 10 juillet 1940, il s'abstient volontairement lors du vote sur la remise des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il est alors démis de ses fonctions par le régime de Vichy. À la Libération, il est membre du jury de la Haute Cour de justice et assiste au procès du maréchal Pétain. Il retrouve en 1947 ses fonctions à la mairie du Chambon-Feugerolles, qu'il conserve jusqu'en 1971. Il ne retrouve pas, en revanche, de mandat parlementaire.
Il révèle dans un livre édité à compte d'auteur, « Un Témoin raconte (1962) », le secret des délibérations ayant abouti à la condamnation à mort de Pétain - votée par 14 voix contre 13 selon lui. Cela lui vaut d'être inculpé en 1965 pour violation du secret professionnel et d'être jugé en correctionnelle l'année suivante, en compagnie d'un autre ancien juré (Gabriel Delattre). Relaxés en première instance, ils sont condamnés en appel. En 1968, dans le périodique de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, il demande la révision du procès de 1945 car il se dit convaincu que Pétain n'a pas collaboré volontairement et qu'il n'a pas trahi. En 1973, il publie un ouvrage, « Un Procès inique », préfacé par l'avocat de Pétain, Jacques Isorni, dans lequel il revient sur le procès Pétain en dénonçant son caractère politique et sa partialité. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages d'histoire locale et sociale.
Devenu aveugle, Pétrus Faure vit au Chambon-Feugerolles jusqu’à sa mort survenue en 1985.
Benoit Frachon : un destin national.
À partir de 1928, Frachon accède à des responsabilités supérieures. En accord avec les orientations de la direction de l’Internationale Communiste, il participe à des réunions à Moscou et entre au bureau politique du PCF : il est l’archétype de cette génération de dirigeants communistes qui connaît une promotion très rapide (trois ans en l’occurrence).
Au début des années 1930, Frachon se trouve au cœur de la ligne qui triomphe dans le communisme français, faite du repli de la tendance sectaire et de recherches de l’unité à la base avec les ouvriers et non avec les dirigeants socialistes ou syndicalistes « confédérés » (appelés ainsi pour les différencier des unitaires de la CGTU). Alors que se développent en France les premiers effets de la crise de 1929, le communisme et le syndicalisme à volonté révolutionnaire voient leur audience se rétrécir. Frachon, comme beaucoup de militants, subit les conséquences de la répression gouvernementale et est interné à la prison de la Santé. Dès 1931, il est porteur d’analyses alors nouvelles sur le mouvement syndical, attirant l’attention sur la nécessité de s’attacher aux petites revendications des travailleurs. Il devient le porte-parole convaincu de la lutte pour l’unité syndicale, sous la bannière de la CGTU, sur la base de la défense des revendications et des intérêts de la classe ouvrière. Frachon veut gagner les masses ouvrières : pour cela il faut d’abord s’occuper de la réalité ouvrière, réaliser le front unique des exploités, refuser de « faire faire le tour du monde à des prolétaires dont la préoccupation dominante est l’augmentation de leurs salaires ». »
À partir de 1933, devenu secrétaire de la CGTU, Frachon se situe au cœur d’une stratégie unitaire qui recherche non seulement le rapprochement avec les ouvriers confédérés et socialistes, mais aussi avec leurs dirigeants. Membre du bureau politique du Parti Communiste Français, il va transformer la centrale syndicale en véritable « courroie de transmission » de PCF et en assurer la mainmise sur sa direction pour des dizaines d’années.
Dirigeant de premier plan de la CGT après la réunification syndicale de 1935, Frachon participe à la rencontre CGT/CGPF (patronat) du 6 juin 1936 à l’hôtel Matignon. Dans la Résistance, il est avec Jacques Duclos et Charles Tillon l'un des principaux dirigeants du PCF clandestin, plus spécialement chargé de l'action syndicale. Selon l'historien Jean-Pierre Azéma, le Parti Communiste « doit beaucoup pour sa survie » durant ses années de guerre à Benoît Frachon grâce à la volonté du dirigeant communiste de s'enraciner dans le terreau social, « de coller aux revendications de tous ordres » et de parvenir à une union avec les gaullistes contre les envahisseurs. Le 10 septembre 1944, Frachon énonce les grandes tâches de la CGT : achever victorieusement la guerre, reconstruire l’économie. Il lance la bataille de la production et la relie à la satisfaction des revendications ouvrières. Après la scission qui voit la création de Force Ouvrière sous l’impulsion de Jouhaux, il devient pour 20 ans secrétaire général de la CGT. Frachon se retire progressivement à partir de 1967. Il est le seul survivant du Front populaire à participer aux négociations de Grenelle de 1968, même s’il n’est plus secrétaire général. Il décède aux Bordes (dans le Loiret) le 4 août 1975, quelques mois après son vieil ami Jacques Duclos.
En décembre 1967, Benoît Frachon affiche devant la télévision une réconciliation spectaculaire avec son ami d’enfance et ancien « camarade de lutte », Pétrus Faure.
Pour en savoir plus :
https://maitron.fr/spip.php?article23690
https://maitron.fr/spip.php?article23730
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