Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Pyramiden : La ville où le temps s’est arrêté

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Une statue de Lénine faisant face à des montagnes ! Vous vous croyez, sans doute, à quelques kilomètres de Moscou, à Zvenigorod, sur les bords de la Moskova. Erreur ! vous êtes en plein territoire norvégien. C’est, en effet, sur la plus grande ile de l’archipel du Spitzberg, que se trouve Pyramiden. Achetée par la Russie soviétique en 1926, son développement a été fondé sur l’exploitation d’une mine de charbon. Plus de mille personnes y furent employées. La communauté fonctionnait de manière totalement autonome. La chute de l’Union soviétique mit fin à cette aventure. A la fin de l’année 1998, elle se vida de ses habitants. Il nous reste les vestiges de ce qui fut une utopie moderne.

S’aventurer dans les rues de Pyramiden revient à remonter le temps, au faîte de la gloire de l’URSS. De l’immeuble cubique au buste de Lénine qui embrasse d’un regard fier et paternel la grande place de la ville, et qui a l’honneur d’être la statue de Lénine la plus septentrionale de la planète, le moindre élément du décor respire la culture, l’architecture et le mode de vie soviétique.

 

L’imbroglio diplomatique du Spitzberg.

 

Il est impossible de comprendre l’histoire de l’ancienne colonie sans se pencher sur celle du Spitzberg. Les îles arctiques servent, à partir du XVIIe siècle, de base arrière aux expéditions de chasse à la baleine et aux morses. Jusqu’au XXe siècle, les Néerlandais, Danois, Norvégiens comme les Britanniques accostent indifféremment sur l’archipel, qui n’appartient à aucun pays. Le charbon va changer la donne en 1920. À cette date, la Norvège, les États-Unis et le Royaume-Uni se réunissent avec d’autres États pour la rédaction du traité concernant le Spitzberg qui attribue à la Norvège la souveraineté de celui-ci. « Ce qui n’a pas plu aux Russes, c’est que personne ne leur a demandé leur avis en raison de la guerre civile qui déchirait alors le pays », explique Steve Coulson, chercheur spécialisé en biologie arctique. La Russie, si elle n’avait pas eu son mot à dire, n’avait pas dit son dernier mot. Selon le traité, toutes les lois norvégiennes n’avaient pas vocation à être appliquées sur les îles. Il spécifiait, en outre, que les signataires avaient les mêmes droits en matière de développement commercial dans la région. Suivie par plus de quarante pays, la Russie a rejoint le traité.

 

La naissance de Pyramiden.

 

La Norvège et l’Union soviétique ont rapidement compris le rôle que pouvait jouer le Spitzberg sur le plan commercial. En 1926, la Norvège finance la construction de Longyearbyen, qui deviendra la ville la plus peuplée de l’archipel avec quelques 2 000 habitants. En 1936, les Soviétiques acquièrent les droits d’exploitation des bassins houillers de Barentsburg et de Pyramiden, séparés de 90 km. Trust Arktikugol, entreprise publique fondée en 1931, prend la tête des opérations. Avant la Seconde Guerre mondiale, Trust Arktikugol eut le temps d’ouvrir deux mines au Spitzberg. Elles se trouvaient à Grumant et Barentsburg. On était alors seulement en train de construire la ville minière de Pyramiden. Pendant la guerre, l’exploitation minière au Spitzerbg s’arrêta, et à l’été 1941 les bateaux de guerre alliés évacuèrent les soviétiques jusqu’à Arkhangelsk. Les Norvégiens aussi quittèrent leurs mines. En 1943, l’Allemagne attaqua le spitzberg et en brûla les rares villes.

 

Une ville champignon.

 

Après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques font le choix d’investir davantage d’argent dans le lointain avant-poste. Les constructions bourgeonnent par dizaines, incluant un hôpital, un centre culturel ainsi qu’une vaste cafétéria, décoré d’une immense mosaïque représentant les paysages du Svalbard et les héros de la mythologie nordique. Seule exception aux lignes droites de l’architecture soviétique, les angles des bâtiments sont arrondis pour réduire l’érosion due aux vents polaires. Dans les années 1980, on compte un peu plus de 1 000 habitants permanents dans la cité, alors au sommet de sa gloire. Ils se répartissent dans plusieurs immeubles résidentiels qui trouveront vite leurs surnoms : les hommes célibataires vivent au « Londres ». Les femmes célibataires, elles, investissent le « Paris », dont un bar occupe le rez-de-chaussée. Les enfants jouent dans ses couloirs de « la maison folle », immeuble où se rassemblent les familles. Le Gostinka (« hôtel », dont il n’avait que le nom, en russe) était réservé aux ouvriers qui venaient pour des contrats courts. Les années passant, l’archipel a dû s’équiper de cimetières, pour les humains et les chats. Pendant des décennies, on a mené là, sur le territoire de la Norvège, une vie soviétique orthodoxe. Pyramiden était plus qu’une mine ; c’était un village soviétique modèle, une métastase du communisme plantée dans la zone d’influence de l’Occident, dont l’un des objectifs était d’exhiber la suprématie du modèle soviétique. La ville avait son propre hôpital, sa pharmacie et son ambulance. On lavait le linge à la laverie, on réparait ses chaussures à la cordonnerie, et le coiffeur frisait les cheveux des femmes de mineurs. Il y avait même un photographe dans le village. Les enfants avaient bien sûr leur terrain de jeu, une crèche et une école. Le sport et la culture étaient valorisés en URSS. On a donc fait construire à Pyramiden une piscine, un terrain de hockey, un champ de tir, une piste de danse et un centre culturel pompeux, dans le théâtre duquel on pouvait voir régulièrement des films et des pièces de théâtre. Une fois par an, un bateau ou un avion apportait un chargement de travailleurs frais, d’outils, de machines neuves et de vivres. Dans les serres soviétiques, tomates, concombres, laitues, poivrons et fleurs croissaient sous les soins de jardiniers attentifs tandis que des porcs, des poulets et d’autres animaux de la ferme complétaient le menu. Une portion du charbon extrait par les mineurs suffisait à éclairer la ville. En 1976, Nikolaj Gnirolybov, le directeur de la mine, publia avec fierté les résultats de la production de l’année précédente : 35 000 kilos de viande, 48 000 litres de lait, 110 000 œufs et 5 700 kilos de légumes. La mine produisait aussi beaucoup de cendres volantes, dont on fabriquait, des briques en béton pour construire de nouvelles maisons. Le recyclage était devenu une réalité quotidienne pour les habitants.  Pyramiden approchait du modèle soviétique de l’autosuffisance. Les ressortissants du bloc de l’Ouest pouvant s’y rendre sans visa, elle est rapidement devenue la vitrine propagandiste de l’Union soviétique.

 

La fin de l’Union Soviétique signe la fin de l’utopie. 

 

Les mines de Pyramiden ont toujours fonctionné à perte. La chute de l’URSS a entraîné la fin des généreuses subventions soviétiques, signant l’arrêt de mort de l’industrie charbonnière. En 1990, les choses ont changé du tout au tout. Les pénuries sont devenues une réalité quotidienne. Les salaires ont baissé, entraînant le niveau de vie dans leur recul.  En 1996, une autre tragédie frappe la région. Lors de sa descente sur l’aéroport de Svalbard, le vol 2801 de la Vnukovo Airlines, affrété par Arktikugol, s’écrase à proximité de Longyearbyen. Aucun des 141 passagers, à bord de l’avion en provenance de Moscou, ne survit au crash y compris trois enfants et de nombreux parents des mineurs. Dès lors la décision ne traine pas. Le couperet tombe dans les premiers mois de 1998. Le 31 mars 1998, le dernier seau de charbon est sorti de la mine dont les 300 employés, des hommes en majorité, ne voyaient plus de raison de rester. Ils ont embarqué en nombre dans les bateaux et les hélicoptères qui assuraient la liaison vers Longyearbyen et Barentsburg pendant l’été. La moitié d’entre eux, ne souhaitant pas quitter la région, se sont installés à Barentsburg plutôt que de retourner en Russie. Aucun n’avait embarqué pour l’archipel dans l’idée d’y finir sa vie. La plupart avait signé un contrat de deux ans pour venir travailler à Pyramiden, laissant familles et amis sur le continent. Partir a néanmoins été un arrachement. Les ouvriers s’étaient attachés à cette étrange cité et à ses habitants.

 

Que reste-t-il de Pyramiden ?

 

Si les détails ont disparu, le paysage conserve sa cohérence. Les inondations n’ont pas terni la beauté de la pelouse du parc. Les mouettes ont ainsi colonisé les rebords des fenêtres. Les ours polaires s’aventurent parfois en ville, expliquant la tendance qu’ont les touristes à s’armer. Il est toutefois peu probable que la nature envahisse la cité. La rudesse du climat arctique rend inimaginable le cliché de la ville fantôme recouverte de plantes grimpantes. Si la moisissure s’est en effet attaquée aux matelas et aux revêtements muraux, il est impossible de calculer le temps que prendrait la constitution du substrat d’humus nécessaire à la croissance de végétaux. Un documentaire produit par History Channel affirme que les bâtiments de Pyramiden seront encore debout dans cinq siècles.

 

Pour en savoir plus :

 

Kjartan Fløgstad, Pyramiden : Portrait d'une utopie abandonnée, ACTES SUD (30/03/2009)

 

Cliquer ici pour télécharger :

Pyramiden.pdf

 



05/12/2021
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